Libérée samedi après 157 jours de captivité en Irak, Florence Aubenas a raconté lors d'une conférence de presse à Paris ses cinq mois de détention aux mains de "moudjahidine" aux obscures motivations. /Photo prise le 14 juin 2005/REUTERS/John Schults
• (Reuters - mardi 14 juin 2005, 19h51)
Florence Aubenas, "numéro 6", raconte son éprouvante captivité
PARIS (Reuters) - Libérée samedi après 157 jours de captivité en Irak, Florence Aubenas a raconté, lors d'une conférence de presse à Paris, ses cinq mois de détention aux mains de "moudjahidine" aux obscures motivations.
La voix cassée d'avoir recommencé à parler après cinq mois de silence quasi absolu, la journaliste de 44 ans a dit avoir survécu dans un cachot "de quatre mètres de long, deux mètres de large et un mètre cinquante de haut".
Dans un récit à l'humour parfois caustique, elle a pudiquement raconté avoir été "malade un jour sur deux", "battue" par intimidation, "punie" pour avoir trop remué sur son matelas où elle est restait allongée les yeux bandés par 50°C, vêtue d'un survêtement marqué du mot "Titanic".
"C'était assez encadré comme stage", a lancé l'ex-otage avec malice, racontant aussi comment, au moment de partir, elle a eu du mal à "laisser un cadeau" à ses ravisseurs, comme Hussein Hanoun, son guide irakien capturé avec elle, le lui suggérait.
"180 dollars (ce qu'elle avait dans son sac à main qu'on venait de lui rendre), ça fait cher, l'hôtellerie ne valait pas ça !"
Dans ce cachot sans lumière, où elle gardait les yeux bandés, Florence Aubenas a beaucoup "compté". Elle a eu droit a une douche par mois, "24 pas par jour" pour aller aux toilettes", "80 mots" échangés avec ses geôliers, deux repas quotidien - un sandwich et un oeuf le matin, une assiette de riz le midi. Elle a perdu 12 kg.
De ses trois geôliers, qui s'approchaient parfois d'elle sans bruit pour lui faire peur, elle dira qu'ils se sont comportés "en bons musulmans", vis-à-vis de sa condition de femme.
A-t-elle jamais succombé au désespoir ?, lui a demandé un journaliste.
"Ja-mais", a-t-elle assuré. "On ne se pose pas la question de tenir ou de ne pas tenir. On est là, on y est".
Elle a ajouté n'avoir jamais douté de la mobilisation de sa famille, de son journal, de son pays. "La France, les Français ne laissent pas tomber leurs otages, je le savais."
Elle en a eu la confirmation en voyant à la télévision, au bout de 140 jours de détention, les mots "Florence-Hussein 140" défiler sur la chaîne TV5 que ses gardiens lui avaient exceptionnellement laisser regarder.
"LEILA" DEVIENT "NUMERO 6"
Surnommée "Leila" au début de sa détention, Florence Aubenas deviendra ensuite "n° 6" dans son cachot où elle sera rejointe au bout de quelques jours par un homme à qui elle aura interdiction absolue de parler. Ce n'est qu'au bout de plusieurs semaines qu'elle s'apercevra que ce co-détenu, couché à 90 cm d'elle, n'est autre que Hussein Hanoun, "n° 5" pour ses ravisseurs.
Florence Aubenas n'a rien révélé sur d'éventuels autres co-détenus. "J'ai été détenue avec Hussein, c'est ce que je peux dire", a-t-elle déclaré, refusant de confirmer la présence à ses côtés, pendant un mois et demi, de trois otages roumains, comme ceux-ci l'ont affirmé.
La journaliste a raconté avoir eu droit à un simulacre de procès au début de sa détention. Durant toute sa captivité, elle a eu affaire à un homme supposé être le chef des ravisseurs, surnommé "the boss" ("le patron"), avec qui elle parlera via un interprète.
C'est sous les ordres de cet homme qu'elle enregistrera une vidéo diffusée début mars, dans laquelle elle demande l'aide du député français Didier Julia. Elle a précisé que "the boss" lui avait dit avoir parlé "deux fois en mars avec Didier Julia".
Florence Aubenas a dit ne rien savoir sur les raisons de son enlèvement ni sur les motivations de ses ravisseurs, qui se sont présentés comme "des moudjahidine combattant les Américains en Irak".
L'enlèvement de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun a eu lieu le 5 janvier en milieu d'après-midi dans un camp aux abords de l'université de Bagdad, où la journaliste était partie en reportage avec son guide.
"Une voiture nous a bloqués. Quatre hommes armés en sont sortis. Ils ont prétexté qu'Hussein leur avait volé de l'argent. J'ai tout de suite compris qu'on était enlevé", a-t-elle raconté, jugeant "évident" que quelqu'un de ce camp les avait dénoncés.
A la question de savoir si elle retournerait un jour en Irak, Florence Aubenas a dit qu'elle ne pouvait répondre à cette question pour l'instant mais que son amour pour ce pays était intact.
"Je l'ai aimé avant, je l'aime après", a-t-elle dit à une journaliste irakienne lui présentant ses excuses et exprimant le voeu que Florence Aubenas retourne "un jour, inch Allah, à Bagdad".