THAÏLANDE - CAMBODGE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
THAÏLANDE - CAMBODGE

THAÏLANDE & CAMBODGE : INFOS, EMPLOI, IMMOBILIER, CULTURE, POLITIQUE
 
AccueilPortailRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
-50%
Le deal à ne pas rater :
-50% Baskets Nike Air Huarache Runner
69.99 € 139.99 €
Voir le deal

 

 Jours de tournage au Cambodge

Aller en bas 
AuteurMessage
Thaïlande - Cambodge
Rang: Administrateur
Thaïlande - Cambodge


Nombre de messages : 5571
Date d'inscription : 08/08/2004

Jours de tournage au Cambodge Empty
MessageSujet: Jours de tournage au Cambodge   Jours de tournage au Cambodge EmptySam 16 Juil - 7:37

Jours de tournage au Cambodge Logo_libe

Mon journal
Jours de tournage au Cambodge

Par Bernard GIRAUDEAU

samedi 16 juillet 2005 (Liberation - 06:00)


sAMEDI

Mobylette à cinq corps

Cinq heures du matin. Déjà sur la route. La nuit efface la laideur inévitable. Elle gomme les aspérités blessantes. Vitre ouverte, j'ai les parfums des racines brûlées, des fleurs enfouies dans la jungle humide. Nous venons d'éviter une «Mobylette trois-corps». Bébé est niché entre le père, la mère, un fagot de bois et un panier de mangues vertes. J'ai vu des «Mobylette quatre-corps mixtes» et hier une cinq-corps sans échappement. Un cheval ivre s'égare. Allez, on double. Pas de règles sur la route. C'est comme ça. Un deux-roues monocorps bricolé tire une remorque surchargée. Ils sont vingt-trois à l'intérieur. Il y a des écharpes rouges qui claquent avec les rires. A l'arrière d'une deux-corps une femme tient un bambou avec une perfusion comme un fanion. Ils vont au dispensaire de Kampott. Quarante bornes.

A Ambock, il y a une école, un bistrot avec des sièges en plastique bleus. Les enfants, les coudes sur les miettes et la soupe froide, regardent le maître d'école, un écran couleur posé sur une planche poussière : kalachnikov et amour cloche. Ils boivent les évangiles selon Asia movie, made in Bangkok ou TV Manilla. Pendant que les oiseaux déchirent les brumes, la rivière attend leurs corps nus. Tout à l'heure l'or des eaux aura fondu. Ils auront perdu leur trésor.

Des semaines que je mâche les vers de Richard III dans la jungle.

Il reste juste un peu de place à l'autre, ce Pierre, un planteur des années 30 au coeur de l'Indochine. Le cinéma s'accommode. Dans deux mois je serai sur scène. Richard, sanglier sanguinaire, ton pied bot, ta schizophrénie me hantent. «Les armes pour conscience, dis-tu !» Il n'y a pas si longtemps, ici, les hommes n'avaient que les armes et la torture pour conscience.

Au bout de la piste, fiction. Tournage. En selle. Salut, petit cheval craintif. Moteur. C'est parti. Plein soleil.

DIMANCHE

Inquiétante quiétude

Repos. Levé tôt. Déjà chaud. Petit tour dans la montagne de Kep pour combattre la léthargie proposée. Petites foulées à suivre.

«Je sais sourire et tuer dans un sourire.»

Richard III m'obsède. Je crache quelques vers :

«Sur ma vie je tiendrai le monde pour l'enfer/ Je taillerai ma route dans le sang à coups de hache.»Difficile de ne pas penser à Pol Pot. Ici, on affiche une résignation désespérante derrière un sourire trompe-la-mort. Je me réjouis de courir seul au petit matin sur le golfe de Thaïlande.

Au retour, pagode avec petits moines orange qui pouffent de rire en me saluant. Ombrelle safran de la couleur de leur robe. Coquets, les jeunes moines. Les vieux sont rares. Richard III, je veux dire Pol Pot, a assassiné tous les bonzes et détruit plus de 3 000 temples. Ce pays est bouleversant, mais je suis perdu devant l'inquiétante quiétude. Il y a ici de grandes collines de granit vendues aux Chinois pour faire du béton. Il n'y aura plus de montagnes dans dix ans. Effarant.

Richard est dans mon sac avec un jus de gingembre. «Brille beau soleil, le temps d'acheter un miroir, que je puisse en chemin danser avec mon ombre.»

LUNDI

Animal étrange

C'est un paradis illusoire au coeur de la forêt cambodgienne, une maison de cinéma au pied d'une montagne de calcaire vert pâle. La latérite se gorge de rouge et d'orange avec de miraculeuses veinules vertes. L'ingénieur du son devient fou, du village voisin hurlent des haut-parleurs. The Weeding Season, sir. Les dates sont déterminées par les bonzes.

Je suis allé au mariage d'un employé. Il prenait femme. J'ai eu l'impression en les voyant que c'était elle qui prenait homme. Il n'y avait de lumières que les feux de brousse disséminés et quelques lampions anémiques. Un orchestre de village frappait des notes. Il était émouvant ce jeune marié à qui j'apportais dans la nuit quelques dollars offerts par l'équipe du tournage. J'avais été délégué et j'aimais cette ambassade. J'étais le seul Européen, animal étrange dans cette faune cambodgienne.

Il y avait beaucoup de demoiselles bonbons sucrées de rose, de vert et de jaune pour accompagner la mariée qui relevait sa jupe dans la poussière pour aller de table en table, comme un forgeron de ménage. Je ne sais pas trop ce que j'ai mangé. C'était bon, généreux. Difficile de croire qu'il y a peu l'horreur était quotidienne. C'était juste avant la naissance du jeune marié. Il y avait dans cette fête ceux du génocide, victimes et bourreaux.

Ils sont toute une marmaille à rire clair, dépouillés du passé, nu-pieds, libres, à rire de moi, de nous, de mes facéties. Ils n'ont pas peur. Je les envie.

MARDI

Khmers rouges dans la maison

Il y a eu de l'orage cette nuit. Les odeurs sont folles. Débordement des canaux, terre rouge sur la route. J'ai une scène avec des acteurs, une autre avec le petit cheval et une autre avec moi-même.

Pol Pot «le Professeur», le médiocre, réfugié dans la jouissance du pouvoir, n'a pas pu, seul, imaginer tant de férocité. Dans ces maisons, il y a des Khmers rouges qui se cachent. Personne ne parle, ne se révolte. Tous se plient jusqu'à terre, mains jointes, jusqu'à boire l'eau des rizières et se noyer.

MERCREDI

Marché aux crabes

Tournage : 15 heures. Il est 6 heures. Je marche dans ma jungle préférée. J'enchaîne les actes de Richard III. Je claudique sans peur des regards. Je suis seul avec les macaques.

«J'ai tramé des complots par de perfides intrigues/ De fausse prophétie, des affabulations/ Dans le but de faire naître une haine mortelle...»

Kep, village balnéaire d'avant la guerre de 1975, villas décapitées, aux yeux crevés. Je redescends vers le marché aux crabes. Bord de mer. Sérénité. J'ai l'air du large, et un vague parfum de coriandre qui s'échappe de mon bol. Je regarde tous ces gens qui me sourient. Ici on a tué toute culture, les hommes à lunettes, les professeurs, les médecins, les scientifiques. «An zéro», avait dit Pol Pot. Difficile de rattraper vingt et un siècles. La convalescence va être longue.

JEUDI

Des billards entre les pilotis

Me voilà à Phnom Penh. C'est le miracle du cinéma. Ici, il y a des musées, un palais royal, des fabricants d'argent, des rues gaies, futiles, les rues de l'oubli. Il y a des éclats de lumière sur les dorures des temples des mafieux, des gens bien intentionnés, des corrompus. Le gâteau offert par l'aide internationale se partage au plus haut niveau. Au marché russe, j'ai acheté de fausses antiquités. Tout a été pillé. Des centaines d'ONG fleurissent à Phnom Penh. C'est la spécialité ici, peu sont utiles. La fiction a cet avantage qu'elle nous éloigne de la réalité.

J'ai tenté quelques foulées arrogantes dans un bidonville au bord du Mékong. Il y a des dortoirs où s'alignent les hamacs comme sur les ponts des navires. Des alvéoles soufflées abritent des familles dépouillées. Des billards, partout. Au plus profond de la forêt cambodgienne, entre les pilotis, sous les maisons, vous trouverez un billard massif, à la peau craquelée, les pattes dans la boue comme un crapaud- éléphant.

VENDREDI

Fin du cycle des vivants

Ce fut un tournage heureux dans un pays en souffrance. Vous ai-je parlé de Rithy Panh ? De son théâtre brûlé, un théâtre éventré depuis le génocide, où les acteurs réfugiés se nourrissaient des poissons du bassin, des chauves-souris dans les charpentes. Ils faisaient pousser du maïs sur la scène et des aubergines dans le trou du souffleur. Un gardien haltérophile dort sur une banquette éclatée. Il garde les fantômes assis sur un fauteuil de Mercedes lacéré. Il n'y aura pas de mémoire, de deuil de vie à suivre sans pédagogie, m'a dit Rithy Panh.

Je suis allé chez Sarète, l'assistant cambodgien. Il y a des brûlis, des fumées acres, des flammèches comme sur un mémorial. La flamme du miséreux inconnu... Le village de Sarète, c'est un joli mot, village, est un amas de matériaux divers qui surnage un lac de détritus. J'imagine la saison des pluies. L'orage d'hier donne déjà une idée de l'impossible à croire. Déchets mouvants, pourriture, vomissures. Il faut intégrer la puanteur sous peine de vomissement. C'est la fin du cycle des vivants, le bout de l'intestin, la négation du monde. Il faut un arrêt pulmonaire pour survivre.

Sarète était comme cet enfant dans les bras de sa soeur. Il était cet enfant nu dans l'innommable au bout d'une enfance mortelle, sans espoir, sans regard pour le possible. Un jour, un couple a débarqué ici. Touchés par l'insupportable, ils ont commencé, dans la méfiance, à apporter de la nourriture. Mais la peur dissuadait les enfants : peur de perdre leur place sur la décharge, de manquer un trésor, de ne pas faire les kilos de plastique, de fer, de cuivre, de merde... Le couple insista et la ronde commença. Le couple impose une règle. Mains propres, visage propre et à suivre bol de riz, poisson, légumes. Des volontaires se présentent. On construit un coin avec tables et bancs. Tous mangent un repas par jour. Après quelques années, l'odeur est toujours là, mais il y a une école, un lycée professionnel, une petite antenne médicale, des portes ouvertes sur la vie. On surveille beaucoup les petites filles, souvent vulnérables, vendues, prostituées. Sarète est venu respirer l'odeur de son enfance, la première, celle de la décharge à laquelle on s'habitue malgré tout et qui devient connue, reconnue. Ce couple a vaincu l'impuissance, la corruption, les tabous. Ils sont inlassables et admirables. Belle balade avant tournage. Je vais retrouver ma loge et mes bouteilles minérales, ce soir mon hôtel cinq étoiles, ma suite, la piscine, les massages, TV5-CNN et une liaison amoureuse par satellite avec la femme de ma vie.

P.S. : Richard III s'est abreuvé de ces jours.

Né en 1947 à La Rochelle, il réalise, en 1989, son premier long métrage, l'Autre, adapté d'un roman d'Andrée Chédid. Puis les Caprices d'un fleuve en 1995.
Il publie le Marin à l'ancre (Métailié) en 2001 ; les Hommes à terre (Métailié) en 2004.
A l'automne,
il jouera Richard III au Théâtre
de Paris.
Revenir en haut Aller en bas
 
Jours de tournage au Cambodge
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Soutien Florence et Hussein - 100 jours -
» Des formations en dix jours pour les guides

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
THAÏLANDE - CAMBODGE :: Catégorie à modifier... :: CAMBODGE-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser