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 En Thaïlande, les sacrifiés de la grippe aviaire

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Thaïlande - Cambodge
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Date d'inscription : 08/08/2004

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MessageSujet: En Thaïlande, les sacrifiés de la grippe aviaire   En Thaïlande, les sacrifiés de la grippe aviaire EmptyVen 13 Aoû - 7:47

Le récent passage à l’humain de la grippe du poulet présente un danger redoutable : en l’absence de vaccin et de traitement, les morts pourraient, selon l’Organisation mondiale de la santé, se compter en millions. En Thaïlande, la poussée de grippe aviaire du début de l’année 2004 a aussi secoué les perspectives des agro-industriels, précipitant une crise dont les premiers à faire les frais sont d’ores et déjà les petits fermiers.



Par Isabelle Delforge
Journaliste, chercheuse auFocus on the Global South, Bangkok.






L’ambition de la Thaïlande de devenir la « cuisine du monde » a été sévèrement contrariée par l’épidémie de grippe aviaire qui a balayé l’Asie à partir de la mi-décembre 2003. Dès le mois de janvier 2004, plus de 20 000 tonnes de volailles, refusées par les autorités japonaises, européennes et sud-coréennes, étaient retournées à leurs producteurs thaïlandais. Au total, dans huit pays asiatiques, plus de 100 millions d’oiseaux furent tués par cette épidémie sans précédent, pour la plupart abattus par mesure prophylactique (1).

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a tiré la sonnette d’alarme, ayant constaté depuis 1997 que ce virus (nommé H5N1) n’infectait plus seulement les espèces animales, mais qu’il pouvait aussi se transmettre aux humains. Les autorités sanitaires craignaient particulièrement que le virus ne soit contagieux d’une personne à l’autre sans contact direct avec un oiseau porteur. Le précédent du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) était encore dans toutes les mémoires (2) : 34 personnes, en Thaïlande et au Vietnam, ont contracté la grippe H5N1, 23 d’entre elles en sont mortes.

Dans un rapport publié en avril 2004, l’OMS évoquait « le risque (…) que les conditions présentes dans certaines régions de l’Asie ne débouchent sur une pandémie de grippe. Les pandémies, qui réapparaissent à intervalles imprévisibles, provoquent invariablement des taux élevés de morbidité et de mortalité, de fortes perturbations sociales et d’importants dommages économiques. Selon certaines estimations prudentes fondées sur des modèles mathématiques, la prochaine pandémie pourrait entraîner la mort de 2 à 7,4 millions de personnes (3) ».

La Thaïlande étant le pays où l’épidémie a emporté le plus de victimes humaines, la grippe aviaire est rapidement devenue une crise nationale. Car le poulet est un commerce particulièrement lucratif au royaume de Siam. Quatrième exportateur de volailles du monde, le pays vend à l’étranger jusqu’à 90 % de sa production pour une valeur de 981 millions d’euros, principalement vers l’Union européenne et le Japon (4). La production d’aliments pour le bétail, l’élevage, la transformation et la vente de poulets représentent un secteur industriel d’une telle importance que l’on estime à plus de 2 milliards d’euros les dégâts de la grippe aviaire pour l’économie du pays. Selon M. Tripol Jawjit, député du Parti démocrate (opposition) à la Chambre des représentants, 670 000 familles d’éleveurs ont été affectées par l’épidémie (5).
Un champion national

Cependant, si la maladie a étendu ses ailes bien au-delà des élevages de poulets et de canards, c’est surtout parce que le leader du marché avicole est aussi le plus grand empire commercial du pays. Le groupe Charoen Pokphand (CP), un conglomérat multi-national principalement tourné vers l’agroalimentaire et présent dans plus de vingt pays, domine des activités aussi diverses que la production de semences, les télécommunications, la pétrochimie ou la grande distribution.

L’introduction de l’élevage intensif de poulets dans les années 1970 a fait la célébrité du groupe CP en Thaïlande. Et, même si la volaille ne compte plus que pour 10 % de son chiffre d’affaires, la grippe aviaire a ébranlé le groupe, faisant chuter ses actions de 12,5 % dès le jour de l’annonce officielle, entraînant une baisse brutale de la Bourse de Bangkok.

Au-delà des retombées économiques, la grippe du poulet a déclenché une profonde crise politique. Le premier ministre, M. Thaksin Shinawatra, un des plus riches hommes d’affaires, a pris la défense des intérêts des exportateurs d’une manière si manifeste que les consommateurs et les petits producteurs se sont sentis manipulés. Du coup, la population ne se défiait plus seulement de son assiette, mais aussi de la parole de ses dirigeants. Et la crise de confiance s’est exportée, gagnant très vite les principaux partenaires commerciaux du pays.

La réponse du gouvernement à l’épidémie s’apparente à une longue série de dissimulations, de mensonges, d’incompétences et de décisions extrêmement contestables : le long retard avant de reconnaître l’épidémie ; les mesures sélectives prises pour enrayer sa propagation ; la formidable campagne de promotion nationale hissant la consommation de poulet au rang d’acte patriotique ; le développement sans nuance de l’élevage industriel au détriment des petites exploitations paysannes.

Le 23 janvier 2004, après avoir nié qu’il tentait d’étouffer l’affaire, et sous la pression des organisations de la société civile et des partis d’opposition, le gouvernement a admis l’existence de l’épidémie. De nombreuses sources confirment cependant que l’industrie et les autorités savaient que la grippe faisait rage depuis plusieurs mois. Ainsi, en novembre 2003, un vétérinaire de l’université Chulalongkorn avait avisé le ministère de l’agriculture qu’il avait décelé le virus H5N1 dans des carcasses de poulet ; aucune mesure ne fut prise (6).

Dépité, M. Disathat Rojanalak, un agriculteur bio de Nong Chok, près de Bangkok, fait visiter son poulailler abandonné. « En décembre, sur mes 800 poules pondeuses, 650 sont mortes en quelques jours. J’ai fait analyser les carcasses par le département élevage du ministère de l’agriculture. Une employée m’a déclaré que les poulets étaient morts “sans aucune cause médicale”. Comment pouvais-je croire que ces animaux n’étaient pas malades ? J’ai alors compris qu’on nous cachait la vérité. »

Centaco, un abattoir de la banlieue de Bangkok. La société exporte de la volaille surgelée, principalement vers le Japon. Assises à même le sol dans l’une des petites chambres où elles vivent, à deux pas de l’usine, une quinzaine d’ouvrières syndiquées racontent : « Avant l’annonce officielle de l’épidémie, nous avons dû faire beaucoup plus d’heures supplémentaires que d’ordinaire. Normalement, nous abattons environ 90 000 poulets par jour, se souvient l’une d’elles. Mais, à partir de novembre et jusqu’au 23 janvier, nous avons transformé jusqu’à 130 000 poulets par jour. » De nombreux animaux arrivaient malades. « On nous donnait l’ordre de les traiter comme d’habitude, même s’ils étaient déjà morts en raison du virus, explique une travailleuse. C’est nous qui découpons les poulets. On voyait bien qu’ils étaient malades. Leurs organes étaient gonflés. On ignorait qu’il s’agissait de la grippe, mais dès octobre on a cessé d’en manger. »

En apprenant par la télévision la nature du virus, elles ont pris peur. Pendant deux mois, elles avaient abattu et transformé de la volaille malade sans précaution sanitaire particulière. « Nous avons alors demandé à la direction d’améliorer les mesures de sécurité, dit l’une d’elles, dirigeante syndicale. Nous avons demandé des vêtements de protection et nous en avons obtenu. Mais ce n’est pas assez. Nous encourons plus de risques que les éleveurs, parce que nous sommes obligées de toucher les poulets à longueur de journée. Nous touchons le sang, nous touchons les plumes… »

La stratégie de la dissimulation a été appliquée du haut en bas de l’échelle sociale : la réaction de M. David Byrne, le commissaire européen à la santé, fut ainsi l’une des plus embarrassantes pour Bangkok. Quelques jours à peine avant d’annoncer officiellement la présence du virus sur le territoire, le premier ministre lui avait personnellement garanti que le pays était épargné. La presse rapporta que le commissaire s’était senti « déshonoré », d’autant plus que le gouvernement a déclaré qu’il avait gardé cette information secrète de peur de provoquer un mouvement de panique (7).

Le quotidien d’information économique Manager accusa alors le gouvernement d’avoir couvert l’affaire afin de protéger les intérêts des grandes entreprises. Plutôt que de mettre en quarantaine les zones où ils détectaient la présence du virus, les fonctionnaires distribuaient de maigres compensations aux aviculteurs en échange de leur silence et de l’abattage de leurs animaux (Cool. L’épidémie avait propulsé le cours du poulet surgelé sur les marchés mondiaux de 1 600 dollars la tonne à 2 500 dollars. Selon Manager, l’industrie thaïlandaise mit largement à profit ces mois fastes pour gonfler ses bénéfices (9).

L’appui du gouvernement aux magnats du poulet prit un tour spectaculaire lorsque le premier ministre en personne se lança dans une croisade pour convaincre la population de manger du poulet. Il multiplia les apparitions télévisées une cuisse de poulet entre les dents, ou se pourléchant les babines devant un festin de volailles. Des panneaux publicitaires géants, signés par le gouverneur de Bangkok, relayaient le message : « Si les Thaïlandais ne mangent pas du poulet thaïlandais, comment peut-on espérer que d’autres nous en achètent ? »
Des milliers de paysans exclus du marché

Le « festival du poulet » organisé le 8 février par le gouvernement fut l’apogée de cette campagne insolite. Charoen Pokphand et toute la crème de l’industrie distribuèrent des milliers de repas gratuits ; le plus grand mangeur de poulet fut couronné à la suite d’une âpre compétition ; et des stars du show-business et du monde politique paradèrent, dévorant ostensiblement des volailles thaïlandaises. Après des mois de rumeurs et d’informations contradictoires, la population resta toutefois sceptique et, pendant de longues semaines, de nombreux restaurants cessèrent de servir de la volaille.

Le patriotisme du poulet promu par le gouvernement est traversé par de nombreuses contradictions. Les patriotes de l’estomac encouragèrent les consommateurs à manger dans les restaurants de la chaîne de restauration rapide… Kentucky Fried Chicken, où la volaille était censée être saine car bien cuite… et produite par le groupe CP.

De manière moins anecdotique, l’attitude du pouvoir démontre clairement la priorité donnée à l’industrie d’exportation. En 2001, le pays était le cinquième exportateur de produits alimentaires dans le monde, d’après un classement de l’Organisation mondiale du commerce (10). Cependant, la plupart des citoyens du royaume ne bénéficient pas de ce commerce lucratif.

La santé des consommateurs et des travailleurs arrive loin derrière la prospérité des exportateurs. L’OMS fut conduite à critiquer l’absence de mesures de protection en direction des éleveurs et des travailleurs de la chaîne avicole (11). Les campagnes d’information sur les risques encourus par la population et la manière dont elle pouvait se protéger restèrent sans commune mesure avec la campagne de relance de la consommation.

A moyen terme, cette crise précipite une restructuration du secteur orientée en faveur de l’élevage industriel. Sous prétexte de sécurité sanitaire, les autorités imposent en effet aux éleveurs de construire des poulaillers fermés. Incapables d’effectuer les investissements nécessaires, des milliers de petits aviculteurs ont déjà dû cesser leurs opérations, laissant la place aux grandes exploitations.

Les succès enregistrés par la Thaïlande sur les marchés mondiaux n’ont pas permis à ses 20 millions de petits producteurs et travailleurs du secteur agroalimentaire de sortir de la pauvreté. De 1995 à 2000, alors que la valeur des exportations de produits alimentaires augmentait de 52 %, la dette moyenne par famille d’agriculteurs augmentait également de 51 % (12). Cheville ouvrière de ce succès, la petite paysannerie produit plus mais voit ses revenus diminuer, tandis que l’environnement a considérablement souffert de la surexploitation des terres. Et l’ambition de la Thaïlande de devenir la « cuisine du monde » entraîne la mise en avant des intérêts des multinationales de l’agroalimentaire au détriment de ceux de la population.
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