CAMBODGE Le chef de l'opposition a perdu son immunité
La «fuite à Paris» de l'opposant khmer Sam Rainsy
Le dirigeant de l'opposition cambodgienne Sam Rainsy, poursuivi par la justice dans son pays, est arrivé à Paris hier. Chef du Parti Sam Rainsy (PSR) et plus farouche critique du premier ministre cambodgien Hun Sen, il avait quitté Phnom Penh jeudi après la levée de son immunité parlementaire.
Alain Barluet
[05 février 2005]
Sam Rainsy est un habitué des coups d'éclat mais cette fois, il a fait fort. A peine l'Assemblée nationale – qui tenait jeudi à Phnom Penh sa séance de rentrée – venait-elle de voter la levée de son immunité parlementaire que le chef de l'opposition cambodgienne filait à l'aéroport, escorté par des diplomates américains. Direction Paris, via Singapour et Bangkok, où les autorités n'ont pas souhaité accueillir le bouillant politicien. Celui-ci a justifié son départ précipité par les menaces pesant sur sa sécurité et par la nécessité d'«alerter les pays fournissant une aide au Cambodge sur la situation potentiellement explosive» qui prévaut dans le pays.
Privé de son immunité de député, Sam Rainsy encourait une condamnation pour diffamation réclamée par son plus farouche adversaire, le premier ministre Hun Sen. En janvier 2004, Rainsy avait accusé le premier ministre d'avoir projeté de l'assassiner ainsi que quatre autres personnalités de l'opposition. Jeudi, deux autres députés du Parti Sam Rainsy (PSR) ont été privés de leur immunité parlementaire. Quelques heures plus tard, l'un d'eux, Cheam Channy, a été arrêté et accusé d'avoir créé une milice anti-Hun Sen.
«La situation économique et sociale se dégrade au Cambodge où la corruption est la racine du mal», martèle Sam Rainsy, interrogé hier par Le Figaro à son arrivée à Paris. «En réclamant des réformes, l'opposition est l'étincelle qui peut faire exploser le baril de poudre : c'est pourquoi on veut nous bâillonner», dit-il. Il affirme avoir craint une «mise en détention provisoire, au cours de laquelle, au Cambodge, tout peut arriver... Je ne rentrerai qu'après avoir reçu ma convocation au tribunal et étudié les charges qui pèsent sur moi», précise l'opposant khmer – cible, en 1997, d'un attentat meurtrier à la grenade qu'il accuse Hun Sen d'avoir organisé.
La «fuite» de Sam Rainsy survient après une longue suite de péripéties politiques. En juillet dernier, le Parti du peuple cambodgien (PPC) de Hun Sen, héritier du Parti communiste, parvenait à nouer une coalition avec le parti royaliste Funcinpec de Norodom Ranariddh, un des fils de Sihanouk, par ailleurs président de l'Assemblée nationale. Le Cambodge avait été privé de gouvernement pendant un an !
«Ranariddh s'est vendu à Hun Sen», avait alors clamé Sam Rainsy. «J'ai la preuve qu'il a signé un contrat de 27 millions de dollars pour la construction de la nouvelle Assemblée nationale alors que, selon le devis, son coût n'est que de 13 millions», avance Sam Rainsy qui a intenté des poursuites pour corruption – restées sans suite – contre le fils aîné de Sihanouk. Celui-ci est particulièrement amer d'avoir été écarté du trône au profit de son demi-frère Norodom Sihamoni, en octobre dernier, après l'abdication du souverain. Rainsy avait alors amené à Sihanouk – qui séjournait en Chine pour raisons médicales – un prétexte tout trouvé pour se démettre en évoquant la perspective de manifestations à son retour au pays...
Les Etats-Unis ont «fermement condamné» jeudi la levée de l'immunité de Sam Rainsy et de ses deux partisans et évoqué des mesures de rétorsion contre les dirigeants du PPC.
Sam Rainsy – qui conserve sa nationalité française – déplore en revanche «une politique française à l'égard du Cambodge peu claire et peu audible». Il compte mettre à profit son séjour à Paris pour tenter, lui, de se faire entendre.