Un témoignage
"On s'est toujours battus !", racontent Arnaud et Béatrice Miguet. Ce couple du Loiret a surmonté bien des épreuves pour adopter une petite Cambodgienne, Emma, après la mort d'Arthur, un premier enfant adoptif. "Loly Lola", film de Bertrand Tavernier sorti en 2004, avait déjà raconté le très difficile et très douloureux parcours du combattant que représente l'adoption d'un enfant au Cambodge.
Mme et M. Miguet, elle secrétaire, lui ouvrier agricole, veulent encore accueillir un
enfant venu d'ailleurs, avant de "se poser un peu".
Lot commun de tous les adoptants, leur parcours a commencé par une demande
d'agrément au conseil général: "La première fois, c'est dur. Les assistantes sociales regardent où va vivre l'enfant, posent des questions sur votre vie. Mon mari a onze ans de moins que moi. Pour elles, on n'était donc pas fait pour adopter", se souvient Béatrice, 43 ans.
Un psychologue corrigera cet avis défavorable. En 2001, après trois années d'attente, les Miguet, qui ne pouvaient pas avoir d'enfants, ramèneront un petit Letton de trois ans, Arthur, chez eux à Chevillon, près de Montargis. Arthur était un enfant blond rieur et fonceur, qui n'aimait pas l'école, mais apprenait le français très vite. Janvier 2003. L'enfant, bientôt cinq ans, meurt d'hydrocution en tombant dans un étang gelé. "Il était avec son père en train de soigner les animaux", raconte Béatrice, pendant que l'adorable petite Emma finit sa tranche de veau et ses pommes de terre sautées.
"Après Arthur, je ne pensais plus adopter", reprend la mère meurtrie, qui a finalement en juin 2003 suivi une amie, Josée, parti adopter au Cambodge.
A Phnom Penh, nouveau choc: "Dans les orphelinats, j'ai vu des enfants mourir par terre comme des chiens. Je me suis dit qu'il fallait que je me batte pour eux". Il a fallu
particulièrement se battre pour Emma (Sokvy de son prénom de naissance): "C'était la plus grande, la plus sale et la plus moche", raconte-t-elle. "Mais je savais que c'était la petite soeur d'Arthur". Après les tests médicaux de la petite (HIV, hépatite et tuberculose), les Miguet, reçoivent du Cambodge le 25 juillet 2003 l'autorisation d'adopter Emma, qui a aujourd'hui 5 ans.
Mais le 31 juillet 2003, la France suspend toute adoption d'enfants cambodgiens
après la découverte de trafics. Désemparés, les Miguet font le siège de la Mission de l'adoption internationale (MAI) à Paris: "On leur a dit qu'on ne faisait pas de trafic d'enfant. Emma pesait dix kilos. En octobre, elle a fait des hémorragies. Il fallait absolument qu'on aille la chercher". Réponse de la MAI: "Dirigez-vous vers d'autres pays. L'organisme nous a donné d'autres adresses, en Inde, au Népal. Mais la petite nous appelait papa et maman, on ne pouvait pas la laisser", raconte Béatrice.
Les Miguet se rendront trois fois au Cambodge, à leurs frais, malgré leur 2000 euros de revenus mensuels. Dans leur malheur, ils ont la chance de ne pas être seuls, 12 dossiers d'enfants cambodgiens en instance d'adoption ayant subi la date-couperet du 31
juillet 2003. Un adoptant du Gard ira jusqu'à faire une grève de la faim en novembre. En
décembre, le premier ministre promet d'agir au plus vite. Les dossiers sont finalement
débloqués début janvier. Quelques jours plus tard, Emma voit Chevillon pour la première fois.
Désormais, le couple veut adopter un petit frère en Europe de l'Est. Il lui faut solliciter un nouvel agrément auprès du Conseil général du Loiret. Les assistantes sociales sont attendues de pied ferme: "Je n'ai plus peur de rien", assure Béatrice.
Quelques chiffres
Au total, 4079 enfants étrangers ont été adoptés en France en 2004, selon les derniers chiffres de la Mission de l'adoption internationale (MAI), soit une progression de 2,1% par rapport à 2003 (3995 enfants étrangers adoptés). En 1980, seuls 935 enfants étrangers étaient adoptés en France.
Selon les statistiques de la MAI, Haïti est le premier pays d'orgine des enfants
adoptés en France (507 en 2004). Suivent la Chine (491 enfants adoptés), la Russie (445), l'Ethiopie (390 enfants), le Viet Nam (363), la Colombie (314) et Madagascar (292).
Une récente étude de l'Institut national des études démographiques (INED) montre que l'adoption est majoritairement le fait de couples, "alors qu'avant 1950, près de 80 % des adoptants étaient célibataires". C'est aussi à partir des années 80 que les Français ont commencé à adopter davantage d'enfants étrangers que d'enfants nés en France métropolitaine. "En moyenne, les parents adoptifs sont plus âgés et plus diplômés que les
autres", ajoute l'INED, à partir d'une étude réalisée en 1999.
Selon la MAI, les enfants adoptés à l'étranger en 2004 ont en majorité moins de deux
ans: 0-6 mois: 9 %; 6-12 mois: 15 %; 1-2 ans: 29 %; 2-3 ans: 12 %; 3-4 ans: 9 %; 4-5 ans: 8 %; 5-7 ans: 10 %; + 7 ans: 8 %.
En 2004, la part des adoptions résultant de démarches individuelles a reculé de 65 à 59 % par rapport à l'année précédente, les adoptions gérées par les organismes autorisés
pour l'adoption (OAA) passant symétriquement de 35 à 41 %. Médecins du monde (MDM) reste le premier OAA par le nombre de dossiers traités (plus de 300 en 2004), devant Rayon de soleil enfants de l'étranger (environ 200).
Certains pays bloquent les départs
Le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, Renaud Muselier, s'est récemment endu à Madagascar, au Vietnam et au Laos pour tenter de débloquer des contentieux liés à l'adoption .
A Madagascar, entre 150 et 175 dossiers d'adoptants français sont gelés depuis août
2004, alors que les parents adoptifs ont souvent déjà rencontré leurs futurs enfants
(malgaches). Les autorités ont pris cette décision le temps de préparer une nouvelle loi,
qui doit être présentée au Parlement en mai, après le démantèlement de plusieurs réseaux de trafics d'enfants au premier semestre 2004. "Je repars relativement confiant, en pensant qu'on pourra trouver une solution", a expliqué Renaud Muselier en quittant l'île le 2 avril.
Au Vietnam, plus de 700 candidatures étaient en attente au ministère de la Justice fin 2004, selon la Mission de l'adoption internationale. Celle-ci invite "les candidats à l'adoption à réorienter leur projet vers d'autres pays" dans une note du 26 novembre.
Au Laos, l'adoption d'enfants laotiens a été suspendue par les autorités en 1994, selon la MAI.
En Roumanie, une loi entrée en vigueur le 1er janvier interdit de fait l'adoption d'enfants roumains par des étrangers, selon la MAI (des liens de parenté doivent exister entre l'adoptant et l'adopté).
En revanche, c'est la France qui a interdit à ses ressortissants l'adoption d'enfants au Cambodge le 31 juillet 2003 car ce pays "n'offrait pas les garanties suffisantes pour assurer la transparence et la régularité des adoptions". A cette date, 11 familles s'étaient déjà vu attribuer un enfant. Leur dossier n'a pu être débloqué qu'en janvier 2005. "L'intervention en leur faveur a été dictée par des raisons humanitaires. D'ici là, aucune situation particulière ne saurait être étudiée", avait déclaré Renaud Muselier en les recevant en février au quai d'Orsay, en estimant à "deux, trois ans" le délai de reprise des adoptions au Cambodge.
Par ailleurs, la MAI met en garde les adoptants qui veulent se rendre dans des pays où la situation est actuellement instable, comme le Népal ou Haïti.