L'équation H5N1
LE MONDE | 14.10.05 | 13h47 • Mis à jour le 14.10.05 | 14h27
On sait tout de la grippe aviaire depuis longtemps. Voilà une maladie "documentée" qui ne présente aucune énigme pour les spécialistes, contrairement à la maladie dite de la "vache folle". Ce pourrait être un facteur très rassurant si la communauté internationale n'avait pas fait la preuve d'un manque de solidarité confondant depuis deux ans en ne portant pas une assistance résolue aux pays pauvres de l'Asie et de l'Asie du Sud-Est, qui furent les premiers touchés.
Résumons : le virus en cause est le sous-type H5N1, un virus hautement pathogène, clairement repéré et identifié pour la première fois il y a plusieurs décennies parmi les oiseaux sauvages. L'épizootie dont il est question aujourd'hui s'est déclarée à la fin de l'année 2003. Elle a principalement touché, dans un premier temps, le Vietnam, la Thaïlande et la Corée du Sud, puis la Chine, Taïwan, le Japon, le Cambodge et le Laos. Dans cette zone géographique, environ 150 personnes ont été infectées en plumant des volailles et une soixantaine sont mortes. Parallèlement, les autorités des pays concernés ont fait procéder à l'abattage de plus de 100 millions de volailles.
A ce stade, l'équation H5N1 était assez facile à résoudre. Le vaccin pour immuniser les volailles existe. Les pays riches auraient dû immédiatement réagir en dégageant les moyens financiers pour que cette peste des oiseaux soit jugulée dans son foyer. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a estimé à 100 millions de dollars les investissements nécessaires dans les trois prochaines années. Mais seulement 20 millions ont été à ce jour promis, tandis que les Etats-Unis, à eux seuls, s'apprêteraient, selon le quotidien britannique Financial Times, à passer commande d'un médicament antiviral pour plus de 1 milliard de dollars.
Du coup, l'équation commence à changer de nature. Au départ localisée, circonscrite, l'épidémie prospère et se mondialise. On l'a repérée en Russie et au Kazakhstan en août ; en Turquie et en Roumanie aujourd'hui. D'imaginaire, le risque d'une pandémie frappant l'Europe devient palpable. Et, de fait, le ton de la Commission européenne a brusquement changé jeudi 13 octobre. Elle était distraitement attentive. La voici mobilisée.
Paris entend aussi multiplier les signaux. Le premier ministre cherche à rassurer en déclarant : "Nous avons un dispositif d'ores et déjà opérationnel." Heureuse nouvelle. La France est l'un des pays les plus concernés puisqu'elle est le premier producteur de volailles de l'Union européenne et le troisième exportateur mondial, derrière le Brésil et les Etats-Unis. Cette situation lui impose une vigilance toute particulière.
A force de voyager et de se diffuser, même lentement, l'équation H5N1 est en effet devenue une équation à une inconnue. Comme en Asie, le risque existe que ce virus infecte, ici aussi, les hommes. La panique est mauvaise conseillère. Le respect d'une politique sanitaire sérieuse et d'une hygiène stricte est en revanche souhaitable.
Article paru dans l'édition du 15.10.05