Débat constitutionnel autour de la convention additionnelle
28-10-2005
Cambodge Soir - La ratification du Traité additionnel au traité frontalier de 1985 fait l’objet depuis de longues semaines d’une intense controverse, chacun y allant de son interprétation de la Constitution. Une bataille d’autant plus théorique que peu de gens ont lu la dite convention, dont le texte, difficilement accessible aux non spécialistes, ne circule que depuis quelques jours. Toujours est-il que la polémique sur les potentiels signataires du texte - illustrée et avivée par le départ du roi pour Pékin - ainsi que sur son contenu supposé ne désenfle pas. Ses détracteurs contestent la possibilité pour une personnalité autre que le roi - “garant de l’intégrité territoriale [...] et du respect des traités internationaux” - de promulguer un texte frontalier, tandis que certains juristes ou élus du peuple mettent directement en cause la constitutionnalité même de la convention.
Le roi est-il seul habilité à signer des traités internationaux?
Conformément à ce qu’avait annoncé son père fin septembre, Norodom Sihamoni est parti mardi pour Pékin où il doit séjourner jusqu’au 6 novembre, et devrait être absent du pays “au moment de la promulgation de la Convention additionnelle”, avait alors précisé le roi-père. Si la Convention est ratifiée par l’Assemblée avant son retour, sa promulgation incombera donc à Chea Sim, chef de l’Etat par intérim, comme le prévoit la Constitution et comme l’a confirmé mardi Norodom Sihamoni dans un message diffusé à la télévision.
Trois articles de la Constitution traitent de la question de l’intérim à la tête de l’Etat. L’article 11 prévoit que si “le roi ne peut remplir normalement ses fonctions du fait d’une maladie grave [...], le président du Sénat exerce les fonctions de chef de l’Etat en qualité de régent”. L’article 28 dispose qu’“en cas de traitement médical à l’étranger, il a le droit de déléguer son pouvoir de signer les kram [promulguant la Constitution et les lois] et les décrets [...] au chef de l’Etat par intérim par un message de délégation”. Enfin, l’article 30 prévoit que “pendant l’absence du roi, le président du Sénat assume les fonctions de chef de l’Etat par intérim”. L’intérim, dont le champ de compétences n’est pas défini, apparaît ici comme une procédure automatique, tandis que la signature par le régent de textes intérieurs - “les kram et les décrets” - semble devoir relever d’une décision exprimée par le monarque. Mais aucun de ces trois articles ne tranchent la question de la signature des traités internationaux par le chef de l’Etat par intérim, une omission qui ne laisse pas d’alimenter le débat.
La princesse Vacheara, présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale, s’appuie sur cette imprécision pour contester le droit à une autre personne que le roi de signer la convention. L'élue Funcinpec se réfère notamment à l’article 26 qui établit que “le roi signe et ratifie les traités et conventions internationales”, sans préciser ce qu’il advient en situation de régence : “Seul un article, le 28, donne le droit au chef de l’Etat par intérim de signer des textes : mais ce sont des kram et des décrets, qui sont des textes internes, pas des traités internationaux”. Sonn Soubert, membre du Conseil constitutionnel, cite de son côté l’article 8 (“Le roi est le garant [...] du respect des traités internationaux”) pour en déduire que s’il est responsable de ces traités, “c’est parce qu’il les a signés”.
Autre son de cloche du côté du gouvernement, qui propose une lecture plus large de la Constitution. Pour le porte-parole de l’exécutif, Khieu Kanharith, le chef de l’Etat par intérim a “les mêmes pouvoirs que le roi, sauf précision contraire. Si le roi délègue ses pouvoirs, il les délègue tous”, analyse-t-il avant de couper court aux spéculations : “Mais avec des ‘si’... Vous savez, le roi sera peut-être rentré avant la ratification de la convention. Il arrive que les débats parlementaires prennent du temps.”
Que se passe-t-il en cas d’absence du président du Sénat?
Quelle que soit la lecture que l’on fait de ces articles, la pratique semble donner raison à l’interprétation qu’en fait le gouvernement puisque le roi-père lui-même avait, avant le départ de son fils, demandé à Chea Sim de “signer, ou non, en sa conscience de Khmer”. La question devient en revanche plus épineuse en cas d’intérim au deuxième degré. Si Chea Sim venait à quitter précipitamment le pays pour “raisons médicales”, comme ce fut le cas en juillet 2004 au moment de la signature de l’amendement de la Constitution instituant le “vote en bloc”, il reviendrait alors au président de l’Assemblée nationale d’assurer les fonctions de chef de l’Etat par intérim (l’an dernier, cette charge avait exceptionnellement incombé au deuxième vice-président du Sénat en raison du blocage politique, qui avait contraint le doyen des députés à assurer la présidence de l’Assemblée, et de l’absence du premier vice-président de la chambre haute).
Or si l’article 28 précise bien que le roi “a le droit” de déléguer son pouvoir de signer des textes au chef de l’Etat par intérim “par un message de délégation”, ce qu’il a fait pour Chea Sim, rien n’indique que ce transfert est automatique. En cas d’absence du président du Sénat, la Constitution n’autoriserait donc personne à signer un texte de loi, et a fortiori un traité frontalier, sans l’autorisation du monarque. Un tel cas de figure s’était produit en juillet 2004, et Norodom Sihanouk, alors sur le trône, avait eu beau jeu de regretter la signature de l’amendement de la Constitution par Nhiek Bun Chhay, au motif que seul Chea Sim en avait reçu le mandat. Et Sonn Soubert de noter, à la lecture de la Constitution, que “même le chef de l’Etat par intérim n’est pas habilité à signer des textes qui engagent la personne du roi sans mandat”. Toujours est-il qu’une éventuelle défection de Chea Sim est envisagée : selon certains de ses proches, le président de l’Assemblée Norodom Ranariddh devrait rentrer au Cambodge dimanche, et se tiendrait “prêt à signer” si la situation l’exigeait.
La convention et le droit international
Dernier point d’achoppement entre partisans et détracteurs de la convention : sa conformité avec le droit international. Conformément aux Accords de Paris, la Constitution fixe les frontières du royaume dans son article 2 : “L’intégrité territoriale du Royaume du Cambodge est absolument inviolable dans ses frontières délimitées suivant les cartes géographiques à échelle 1/100 000e établies entre les années 1933-1953, lesquelles frontières étaient internationalement reconnues entre les années 1963-1969.” Toute modification, “ne serait-ce que d’un millimètre”, du tracé de ces cartes, supposerait donc d’amender la Constitution, estime Sam Rainsy. Très peu de gens ayant lu le texte de la convention, ces commentaires ne sont que pure spéculation, convient-il, mais il aurait été souhaitable que “les deux pays réaffirment le bien-fondé des cartes des années 60” afin de ne pas contredire l’article 2.
Pour Khieu Kanharith, “la convention additionnelle est conforme à la carte déposée à l’Onu” par le roi. “Il n’y a pas un écart d’un pouce”, poursuit-il, même quelques “progressions”, et donc pas de problème avec la Constitution. Le porte-parole du gouvernement précise néanmoins que l’article 2 devra de toute façon être modifié car “les accords frontaliers avec la Thaïlande se fondent sur des cartes au 1/200 000e”, et non au 1/100 000e comme le précise la Constitution.
Mais au-delà des questions purement constitutionnelles, Norodom Vacheara s’inquiète avant tout du manque de garanties proposées par ce texte : “Sur le plan constitutionnel comme du droit international, cette convention n’est pas recevable”, tranche-t-elle : “Les accords internationaux doivent être reconnus par l’Onu pour qu’un recours soit possible, comme stipulé dans l’article 102 de la Charte des Nations unies. Or les traités des années 80, sur lesquels s’appuie cette convention, n’ont jamais été reconnus. C’est un traité bilatéral : si demain nous avons des problèmes avec le Viêt-nam, devant qui irons-nous faire appel?”, s’inquiète la responsable des Affaires étrangères à l’Assemblée, dont la commission devrait en toute logique défendre le texte devant les députés.
Mais dans toutes ces critiques, Khieu Kanharith ne voit que des gesticulations partisanes qui auraient tendance à agacer le gouvernement : “Il y a ceux qui critiquent sans s’être jamais rendu sur place vérifier le tracé des frontières, ni même avoir lu la convention, et il y a ceux qui agissent. Attendez d’avoir le texte en main. Tout est enregistré : ce document restera pour l’histoire”, promet-il.
Soren Seelow