Françoise Meley :
« Les entreprises françaises réussissent en Thailande »
A quelques jours de la visite historique du Président Jacques Chirac en Thaïlande, Françoise Meley, chef de la Mission économique française à Bangkok, fait un point pour Gavroche sur les relations qu'entretiennent les deux pays et les perspectives futures pour les investissements français en Thaïlande..
Gavroche: Pouvez-vous nous faire le bilan des relations économiques et commerciales franco-thaïes?
Françoise Meley: Les échanges entre les deux pays sont anciens, mais ils ont connu une dynamique récente remarquable. Ils se traduisent par deux types de relations: les échanges commerciaux et les investissements.
Depuis la crise financière de 1997, nos échanges commerciaux sont traditionnellement déficitaires. Cela dit, nous notons depuis peu une évolution plus favorable pour la France. Il y a eu ces dernières années plusieurs grands contrats signés, comme ceux d'Airbus en 2003-2004 ou encore dans le secteur des télécommunications avec Alcatel. Et finalement en 2005, pour la première fois en 10 ans, les échanges commerciaux bilatéraux sont équilibrés. Néanmoins, il faut rester prudent et tenir compte du caractère quelque peu exceptionnel des commandes faites à Airbus dont les livraisons en 2005 ont beaucoup modifié notre solde commercial. En effet, si l'on fait abstraction de cela, le solde est déficitaire pour la France, même si les perspectives de croissance de nos exportations demeurent très favorables.
Dans quels secteurs les entreprises françaises investissent-elles le plus en Thaïlande?
En ce qui concerne les investissements français en Thaïlande, on peut noter que si Indosuez est installée en Thaïlande depuis 1897, la première véritable vague des investissements français a eu lieu dans les années 80 et 90. Puis, après la crise financière, on a observé une deuxième vague d'investissements. On compte aujourd'hui environ 350 entreprises françaises implantées dans le royaume.
Quelle est la position de la France en terme d'investissement étranger?
La présence française est importante et diversifiée. En effet, elle concerne de nombreux secteurs tels que les services ou encore l'industrie, et, à côté des principaux grands groupes français, les PME son très nombreuses et couvrent un large panel de secteurs d'activités. Par ailleurs, on observe de plus en plus d'entreprises créées par des Français directement en Thaïlande. Ce sont quelquefois des personnes venues travailler avec un contrat d'expatrié qui, au terme de leur mandat, décident de rester ici et de créer leur propre entreprise. C'est un aspect assez particulier de notre présence en Thaïlande.
Sur la période 1995-2005, la France est le troisième investisseur européen, et la tendance est positive. Non seulement de nouveaux investisseurs arrivent, mais en plus, ceux déjà présents s'agrandissent. On le voit avec Saint-Gobain qui crée de nouvelles usines, ou Essilor, Carrefour ou encore Casino/Big C qui ouvrent de nouveaux points de vente ou Accor de nouveaux hôtels. Les entreprises françaises réussissent en Thaïlande et notre présence est à la fois visible, diversifiée et dynamique.
Par ailleurs de plus en plus d'entreprises implantent leur bureau régional Asie à Bangkok, en raison notamment des coûts attractifs mais aussi des facilités qu'offre la capitale thaïlandaise aujourd'hui.
« La Thaïlande n'est plus un pays d'usines «tournevis» comme dans les années 70»
La politique actuelle du gouvernement thaïlandais favorise-t-elle l'attractivité du pays?
Effectivement, on peut dire que la Thaïlande est un pays «business friendly». Les pays comme la Thaïlande (ou la Malaisie, ou Singapour et bien d'autres pays émergents) ont basé leur développement économique sur l'investissement étranger. Et ils ont tout intérêt, par rapport à la montée en puissance de l'Inde et de la Chine, à poursuivre cette politique pour accroître le niveau technologique et créer de la valeur ajoutée. La Thaïlande n'est plus un pays d'usines «tournevis» comme dans les années 70. Pour prendre un exemple, l'industrie automobile thaïlandaise ne se limite plus à l'assemblage final, mais est devenue une industrie intégrée de production: c'est le dixième pays producteur automobile du monde avec 1 million de véhicules en 2005.
De nombreux efforts sont menés pour faciliter les investissements étrangers et les échanges commerciaux. Le secteur des douanes par exemple, réputé très complexe, fonctionne maintenant en ligne, ce qui permet un gain de temps considérable. Et plus récemment, le programme très vaste de modernisation du pays lancé par le Premier ministre le 15 décembre dernier, qui inclut les mégaprojets annoncés en 2005, ouvre des perspectives très encourageantes pour l'avenir. Ce programme couvre plusieurs secteurs d'activité et définit des priorités. Et ces priorités sont autant d'opportunités d'affaires nouvelles pour les entreprises françaises.
Le BOI (Board of Investment) a des bureaux dans plusieurs pays dont un à Paris. La politique thaïlandaise est tournée vers l'investissement étranger, même s'il reste certains secteurs encore protégés.
Quelles sont les actions de la France dans le cadre des relations franco-thaïes?
Les relations entre les deux pays font aujourd'hui l'objet d'un plan d'action initié lors de la visite en France en 2003 de Thaksin Shinawatra et signé en 2004 par les ministres des Affaires étrangères des deux pays. Ce plan bilatéral comprend un volet économique, qui a vocation à encourager les rencontres entre nos deux pays, non seulement au niveau des ministres, mais également des communautés d'affaires, des entreprises, et vise ainsi à développer des coopérations sectorielles. Une série d'accords cadre (MoU) a donc vu le jour, comme le comité mixte pour le tourisme signé en 2004, les accords de coopération du secteur des postes et télécommunications ou encore ceux concernant la propriété intellectuelle. D'autres accords existent également dans le domaine scientifique, culturel et de l'éducation qui sont suivis par le Conseiller de coopération Pierre Colombier.
Par ailleurs, nos actions en matière commerciale ont fait l'objet d'un plan d'action spécifique: en 2003, le ministre délégué au Commerce extérieur a défini 25 pays jugés prioritaires pour le commerce extérieur français. La Thaïlande en fait partie. A partir de là, un plan d'action commerciale a été lancé, visant à conjuguer les efforts de tous les acteurs du commerce extérieur - et notamment à Bangkok la Mission économique, la Chambre de commerce franco-thaïe et les conseillers du commerce extérieur - pour développer les échanges commerciaux et la présence française.
La Thaïlande bénéficie donc d'efforts particuliers de promotion tels que des colloques entre entreprises et des missions de prospection. Le ministre du Commerce extérieur François Loos (aujourd’hui à l’industrie, NDLR) est venu deux fois en Thaïlande en 2003 puis en 2005, accompagné d'une importante délégation de PME amenées par le groupe Carrefour. L'exposition «Bonjour French Fair» qui s'est tenue pour la troisième fois en décembre dernier est par exemple le fruit de ces actions prioritaires.
Ce plan lancé il y a trois ans s'est terminé voici quelques mois. Mais une prorogation doit être signée prochainement pour trois années supplémentaires (2006-2008). Elle a été annoncée lors de la visite du Premier ministre thaïlandais en France en octobre dernier, son ministre du Commerce Somkid Jatusripitak ayant rencontré la nouvelle ministre déléguée au Commerce extérieur Christine Lagarde.
« Les parts de marché de la France ne sont pas encore tout à fait à la hauteur de nos ambitions »
Pourquoi la Thaïlande est-elle dans cette liste des 25 pays prioritaires?
Pour trois raisons. C'est un pays dont la croissance économique est forte et dynamique avec aussi une importante demande en importations. Ensuite, les parts de marché de la France peuvent encore êtres accrues et ne sont pas encore tout à fait à la hauteur de nos ambitions. Et enfin, nous y avons des capacités en matière de technologies, d'infrastructures, d'équipements, de biens de consommation qui correspondent bien aux besoins de la Thaïlande.
La visite du Président Chirac a-t-elle essentiellement des raisons d'ordre économique?
Cette visite est d'abord une visite d'Etat, la première d'un Président de la République française en Thaïlande. C'est donc d'abord une visite politique, mais elle comporte aussi un volet économique important. Elle s'inscrit aussi dans le cadre du Plan d’Action bilatéral que les deux pays ont signé en 2004.
Le Président Chirac devrait venir accompagné d'une importante délégation, notamment d'hommes d'affaires et de nombreux journalistes. Plusieurs accords bilatéraux seront signés, mais vous comprendrez que nous ne pouvons pas encore en communiquer le contenu.
Par rapport à une Chine émergente, quels sont les atouts de la Thaïlande?
La Thaïlande ne peut rivaliser avec la taille de la Chine mais elle présente un climat très attractif pour les investisseurs et bénéficie de ce que l'on appelle un bon risque politique et économique, c'est-à-dire un risque faible. C'est un pays où l'investissement étranger est présent depuis longtemps. D'une manière générale, l'environnement des affaires, comme dans d'autres pays de l'Asean, y est plus lisible, moins complexe, tout en demeurant très compétitif. Les entreprises estiment aussi que l'on y réussit plus rapidement alors que le «retour sur investissements» semble plus long en Chine.
En revanche, la Chine est un partenaire commercial majeur, notamment de la Thaïlande qui cherche à développer ses relations avec son grand voisin. Les échanges entre les deux pays ont beaucoup progressé dans une période récente, même si en matière d'investissements, les relations sont encore modestes: mais c'est sans doute un mouvement qui va se développer dans les années à venir.
Propos recueillis par
Pierre Queffélec