Klongrua
ou l’écotourisme du juste milieu
Allier protection de l'environnement et tourisme n'est pas chose facile. On accuse souvent les responsables locaux de sacrifier le patrimoine naturel à la manne touristique. A l'inverse, nombres de projets écologiques se heurtent aux communautés locales faute de les prendre en compte. En Thaïlande, il est des exemples d'écotourisme qui savent mettre en balance ces différents aspects pour obtenir une alchimie réussie.
l’écotourisme du juste milieu
Le tourisme se développe souvent à partir d'un patrimoine naturel ou culturel. Mais lorsque sa croissance s'emballe, celui-ci a vite tendance à oublier son devoir de préservation vis-à-vis de son «géniteur». Ainsi, un charmant village de pêcheurs blotti au milieu d'une végétation luxuriante peut devenir en quelques années un hub tentaculaire dévorant la nature environnante et le savoir-vivre des habitants d'origine.
A l'opposé, les protecteurs de la nature sont parfois tellement obnubilés par cette cause qu'ils en oublient le respect envers leurs semblables. Ces experts venus des grandes villes ont en effet tendance à considérer les locaux comme des paysans ignorants et irresponsables sans égard pour la nature. Cela donne généralement des politiques autistes et agressives qui consistent davantage à «mater les sauvages» qu'à associer ces acteurs de premier plan par le dialogue et surtout par l'écoute. La réintroduction de l'ours dans les Pyrénées ou encore la protection du loup dans les Alpes sont des exemples du genre, en France.
En matière d'écotourisme, la Thaïlande n'a rien à envier à l’Hexagone. Des endroits comme Phato, dans la province de Chumphon, sont là pour le prouver. Le Bureau de gestion des bassins versants y a en effet développé récemment deux projets qui semblent trouver cet équilibre fragile entre impératifs écologiques et intérêts humains.
«Notre rôle est de protéger la nature, explique Thun, un jeune responsable du parc, mais nous devons aussi respecter les gens qui vivent ici et leur manière de vivre. Nous avions observé qu'autour du village de Klongrua, situé à 10 km dans la montagne, certaines activités nuisibles pour la faune et la flore prenaient des proportions inquiétantes, notamment le braconnage et la déforestation. Nous avons alors décidé en 2000 de lancer un premier projet d'écotourisme consistant à proposer des séjours aventure et découverte de la forêt tropicale avec les gardes du parc. Puis, il y a deux ans, un second mené en collaboration avec les habitants est venu le compléter. Il s'agit d'une activité à la fois ludique et éducative de découverte de la communauté de Klongrua, village de 230 habitants vivant principalement de la culture du café et de primeurs.»
Klongrua.com
Klongrua.com a vu le jour il y a deux ans. L'idée est simple, elle consiste en un site Internet destiné à rassembler une communauté d'internautes amoureux de la nature et désireux d'apporter un soutien au village de Klongrua. Le site, encore uniquement en langue thaïe, a été développé par des étudiants volontaires de Bangkok qui en assurent le suivi en collaboration avec des responsables du village.
L'accueil des visiteurs est assuré par une équipe de volontaires. La visite commence généralement par une dégustation de café chez un producteur local. Un délice. «Nos deux principaux acheteurs sont Nestlé et le torréfacteur thaïlandais Khao Shong», nous confie Gem, propriétaire de l'exploitation et désigné aujourd'hui pour recevoir un groupe d'étudiants de l'université de Silpakorn. «Cela dit, reprend-il, nous vivons de moins en moins bien de notre travail car le prix de vente (33 bahts le kilo) fixé par le gouvernement n'a pas évolué depuis plusieurs années, tandis que le coût de la vie, lui, a flambé. Alors nous prévoyons cette année de lancer la vente directe aux particuliers par l'intermédiaire du projet Klongrua.com avec le soutien du Bureau de conservation et de gestion des bassins versants.»
Après le tour du propriétaire, le groupe se lancera dans une descente de la rivière sur des radeaux de bambous pour aller pique-niquer au pied des chutes d'eau. De retour en fin d'après-midi après une bonne marche, tout le monde se rendra au cœur du village pour passer la nuit chez l'habitant. Il n'y a pas mieux pour faire connaissance avec les gens «du cru» après avoir découvert leur environnement. Par contre, pas d'échange d'argent ici. C'est une question qui se règle une fois pour toutes dès le départ, sauf éventuelle prolongation ou autre changement. Les sommes récoltées sont gérées par le chef du village sous le contrôle du bureau et du reste de la communauté. Une partie sera reversée à ceux qui auront participé au déroulement de la visite, tandis que le reste ira à la collectivité, notamment à l'école.
Le but ici n'est semble-t-il pas d'implanter le tourisme mais de donner un coup de pouce aux activités existantes par une forme appropriée de tourisme. «Si les gens s'en sortent mieux, pense Thun, ils n'ont plus besoin de recourir à des pratiques nuisibles pour la nature. Et si en plus ils conservent leur travail d'origine, leur identité et leurs valeurs restent intactes. De plus, cette activité complémentaire les amène désormais à protéger la nature et la faire découvrir.»
l’écotourisme du juste milieu
Oxygénation
au cœur de la forêt tropicale
Un autre projet, Phato Rainforest Ecotourism, est lui directement géré par le Bureau de gestion et de conservation des bassins versants. Il propose notamment des randonnées de plusieurs jours (un à six) dans la forêt tropicale. Au programme: grimper sur les hauteurs, admirer la mer au loin ou voir de près toutes sortes d'espèces endémiques, surprendre la faune sauvage auprès des cours d'eau à la tombée de la nuit, bivouaquer, etc.
Les amateurs d'eaux vives trouveront aussi leur bonheur avec des descentes en rafting ou en pirogue. «Ces activités, explique Thun, outre les fonds reversés aux communautés de la zone, ont pour but de sensibiliser le public bien entendu, mais aussi de gêner les malfaiteurs [braconniers et bûcherons sauvages] par des flux aléatoires de visiteurs qui plus est encadrés par les gardes du secteur des bassins versants.»
Si l'on en croit le Bureau de gestion et de conservation des bassins versants, les actes délictueux concernant les coupes d'arbres auraient fortement chuté. De 82 hectares de forêt coupés illégalement en 1998, on serait passé à 18 hectares seulement en 2000 (l'année de l'ouverture du premier projet) pour arriver à seulement un hectare fin 2002.
Par ailleurs, du point de vue social, le contre-coup économique pour la communauté a semble-t-il été bien amorti, et même au delà. Le projet a permis des améliorations bien visibles selon les habitants. L'un des cinq professeurs de l'école se félicite d'ailleurs de pouvoir accueillir ses 35 élèves - de 4 à 12 ans - dans de meilleures conditions qu'auparavant. D'autant que depuis le tsunami qui a ravagé des écoles de Ranong, des enfants sont retournés au village auprès de leurs grands parents, d'un oncle ou d'une tante, gonflant ainsi les effectifs.
Malgré tout, les supérieurs hiérarchiques du directeur du Bureau, Pongsa Chunem, ont cherché à le faire muter, car son approche ne leur plaisait pas. «C'est grâce à la mobilisation des habitants qu'il est finalement resté en place», précise Manit, un de nos guides à Klongrua.
Au moins, sur l'aspect social, les résultats sont reconnus par la communauté. De plus, le Bureau de conservation et de gestion des bassins versants de Phato a reçu en 2004 le prix d'excellence pour la promotion et l'organisation du développement touristique, décerné par le TAT.
Cet équilibre qui semble régner ici entre protection de la nature et besoins humains est récent et demeure fragile. Néanmoins, cette façon de concilier aujourd'hui l'un et l'autre en plaçant la préservation de la culture locale comme clé de voûte de l'ensemble ouvre des perspectives encourageantes. Au sein de communautés à l'identité et aux repères solides, écologie et tourisme se présentent ainsi comme de simples composantes nouvelles de la vie sociale et non comme des normes impératives. Chacune exerce son influence dans une juste mesure avec un risque réduit de tomber dans l’excès.
Pierre Queffélec
(lepetitjournal.com)