Finale du Mondial 2006 - L’incroyable nuit des supporters

Finale du Mondial 2006 - L’incroyable nuit des supporters cambodgiens


11-07-2006
Cambodge Soir - “Incroyable”, la nuit de dimanche à hier l’a été à plus d’un titre pour les quelques milliers de spectateurs cambodgiens réunis sur l’esplanade des jardins de Hun Sen, à Phnom Penh, transformée en gigantesque tribune de football à l’occasion de la diffusion en direct de la finale du Mondial.

Incroyables, les images de ce France-Italie, digne des plus grandes tragédies, projetées sur deux écrans géants installés par la municipalité et la chaîne de télévision TV5.

Incroyable, le talent de ces deux équipes, au coude à coude, rivalisant de prouesses pour décrocher le Graal du football. “C’est un très bon match, des deux côtés. Ce sont deux grandes équipes”, s’extasiait Tien Ouk, venu seul supporter sa favorite, l’Italie.

Incroyable, le coup de tête de Zidane qui s’est abattu comme un coup de massue sur tous les supporters des Bleus, atterrés par la réaction de leur idole. “Je n’en reviens pas, lâchait Sinuth, étudiant, fan des Bleus. Je ne comprends pas le comportement de Zidane. Ce n’est pas possible... A mon avis, avant et pendant le match, des insultes racistes ont été lancées contre les Bleus et ont fini par provoquer cette réaction. Parce que cette équipe de France est composée en grande partie de joueurs noirs. C’est ce qui a dû se passer...”

Incroyable aussi, cette séance de tirs aux buts frôlant la perfection... et la transversale. Le même Sinuth rêvait pourtant d’une issue différente : “Je suis déçu du tir de Trézéguet et de la sortie de Henry. Ce match a été très très dur, mais le foot, c’est aussi une question de chance. Jusque là, la France avait gagné contre l’Italie...”

Plus encore que ces images qui seront commentées et décortiquées, ce qui aura marqué Phnom Penh en cette soirée du 9 au 10 juillet, est l’affluence des spectateurs venus vibrer au rythme de ce beau et grand football entre 1 heure et 4 heures du matin, sur la vaste esplanade jouxtant le fleuve. Au cœur de la nuit, à une heure où habituellement seuls quelques établissements interlopes sont encore ouverts, cette projection publique - une première - a attiré plusieurs milliers de personnes, étudiants, ouvriers, fonctionnaires, paysans, familles venues en pick-up pour profiter ensemble de la soirée, gamins des rues... Plusieurs heures avant le début de la finale, des centaines de spectateurs avaient déjà posé leurs nattes sur la pelouse, au pied de l’un des deux écrans, patientant en grignotant popcorn ou grillades, alors que les deux demi-finales étaient rediffusées. A minuit, une foule impressionnante était rassemblée, prête pour ce grand rendez-vous mondial. Les Phnompenhois, ce soir là, n’avaient plus peur de s’aventurer dans les rues de la capitale. “C’est incroyable de voir autant de monde réuni ici, c’est incroyable”, répétait avec enthousiasme Seng Kadeka, conseiller de TV5, qui n’en revenait pas lui-même du succès de cette opération. “Il est minuit passé et il y a quand même énormément de monde. C’est formidable, ce mélange des cultures et des nationalités, cette foule multicolore de Cambodgiens et d’étrangers!”, s’exclamait Kadeka conquis par l’événement. Assis devant les écrans, les spectateurs n’ont pas tardé à se mettre debout, réagissant comme un seul homme aux premières belles actions. Le pénalty réussi de Zidane était salué d’une immense clameur. Supporters de l’Italie côtoyaient sans agressivité, sourire aux lèvres, ceux de la France, criant à chaque beau geste ou faute. “Je n’ai pas sommeil quand il s’agit de soutenir l’équipe d’Italie”, confiait Tien Ouk, les yeux rivés sur l’écran de toile de la 5. Bien réveillé aussi, le jeune cambodgien Philippe, élève au lycée Yukunthor, était venu sur l’esplanade soutenir la France avec huit amis, “pour être dans l’ambiance et pouvoir crier librement”. Et les jeunes ne s’en privaient pas, scandant à l’envi les noms de leurs joueurs favoris : Henry, Ribéry, Zidane... Un peu plus loin, un autre fan des Bleus anticipait et complétait les commentaires télévisés, citant le nom et le club de chaque joueur français qui touchait la balle. Côté italien, seul le patronyme du gardien de but Buffon émergeait, notamment lors de son impressionnant arrêt, sur une tête de Zidane. “L’autre” tête du capitaine des Bleus, celle qui n’était pas destinée au ballon, laissait pantois les spectateurs. Repassées au ralenti, les images incongrues de Zizou fonçant tête baissé dans la poitrine de Marco Materazzi déclenchait des rires, avant que des voix reprennent le jeu de mot du commentateur de la chaîne 5 : “Zizou devient zéro”. L’ambiance n’en était pas affectée, demeurant calme et bon enfant, entre supporters des deux camps. Jusqu’au bout, jusqu’aux tirs aux buts, la foule restait massée devant les écrans, un peu moins vive mais toujours là. Le coup de sifflet final ne dispersait pas plus les spectateurs phnompenhois qui ont attendu de voir les Italiens brandir leur trophée. Il était plus de trois heures du matin quand un feu d’artifice illuminait l’esplanade, se fondant avec les images de celui du stade de Berlin. “Tout cela montre que la ville et le royaume sont enfin vraiment en paix”, soulignait avec un grand sourire Sérey Vath, étudiant en médecine, regrettant seulement que ce type de manifestation n’ait pas été organisé pour les précédents matches. Devant ce succès, la municipalité et TV5 ont d’ailleurs laissé entendre que la formule serait reprise lors des prochains événements sportifs. Les Phnompenhois auront en tout cas montré au cours de cette incroyable nuit leur désir de partager ensemble, pacifiquement, des grands moments.

Nhim Sophal et Laurent Le Gouanvic