La Licadho pointe du doigt la face sombre du développement
14-07-2006
Cambodge Soir - Guère convaincue par l'optimisme ambiant alimenté par un taux de croissance insolent de 13% et l'improbable réconciliation entre de “vieux ennemis politiques”, la Licadho invite dans son dernier rapport à voir derrière cette stabilité apparente une “démocratie branlante retournant vers un Etat de plus en plus autoritaire”. Sous cette Stabilité de façade, titre de son rapport 2006 sur les Droits de l'Homme, l'organisation décèle tous les ingrédients de troubles à venir. “Après des décennies de conflits et de tragédies, la stabilité est souvent comprise comme l'absence de guerre” : elle masque en réalité “un risque croissant d'instabilité politique, sociale et économique, alimentée par le mécontentement de ceux qui sont abusés et dépossédés par l'Etat”.
Dans les grandes lignes, le rapport reproche à mi-mot à la communauté internationale de se satisfaire un peu vite des gages distillés par le gouvernement. L'ONG cite deux exemples de ce jeu de dupes. Tout d'abord la libération opportune des représentants de la société civile qui avaient critiqué le traité frontalier avec le Viêt-nam quelques semaines avant la réunion du Groupe consultatif. Saluée par des pays donateurs comme “un signe de progrès pour les droits de l'Homme”, elle a surtout fait oublier un peu vite que ces personnes n'auraient jamais dû être emprisonnées, et que les poursuites n'ont toujours pas été levées. Un sens du timing qui semble néanmoins réussir au gouvernement puisque les donateurs ont promis la somme record de 601 millions de dollars pour 2006. Deuxième exemple de la tendance du gouvernement à montrer patte blanche à la veille des réunions des donateurs pour retourner à ses vieilles habitudes sitôt le chèque signé : l'opération “main de fer”. Sept magistrats avaient été condamnés pour corruption quelques semaines avant la réunion... pour être tous acquittés trois semaines après.
Litiges fonciers
C'est la menace grandissante de ces dernières années, selon l'ONG. Elle en dénombrait 25 en 2003 et 126 l'an dernier. Pour la seule année 2005, ce sont près de 45 000 personnes qui en ont été victimes, et ce pour les seules 12 provinces où travaille la Licadho. Au-delà des conflits privés, l'ONG affirme que 15% du territoire national a déjà été cédé en concessions économiques. L'augmentation des sans-terre, ou “fantômes vivants”, comme disent les Khmers, qui migrent vers les villes et s'enfoncent dans une pauvreté irréversible, a été qualifiée par le Premier ministre de facteur “d'instabilité pour la société”. Pourtant, la Licadho dit n'avoir observé aucune véritable initiative pour empêcher “les puissants d'exploiter les plus pauvres”.
Recul de l'espace démocratique
Incarcération du député PSR Cheam Channy, poursuites contre Sam Rainsy, abaissement précipité et sans débat de la majorité parlementaire à 50% plus un, marginalisation du partenaire de la coalition gouvernementale, signature d'un traité frontalier qui aurait fait l'objet d'un large débat public dans toute autre démocratie, interdiction ou dispersion par la police de 40 manifestations pacifiques en 2005... Ces deux dernières années ont été marquées par un fort recul de l'espace démocratique, estime l'ONG.
Impunité
L'impunité est en train de détruire le sens de la justice des Cambodgiens en créant un “environnement où les puissants se considèrent au dessus des lois et sont traités en conséquence”. Au-delà des personnes haut placées ou bénéficiant de protections, l'ONG s'alarme d'une impunité quotidienne menaçant les fondements de la société. En septembre 2005, l'auteur d'un viol, arrêté par la police, s'en est tiré en payant 700 dollars à la famille de sa victime et 100 dollars aux forces de l'ordre, une pratique répandue qui menace la notion même de justice, motive les lynchages populaires et incite les criminels à récidiver.
Justice
Sur 343 affaires d'atteinte aux droits de l'Homme recensées par la Licadho en 2005, la justice n'en a résolu que 6,1%, et ce malgré la présence fréquente de preuves. L'ONG déplore en outre le fait que le Conseil suprême de la magistrature, censé veiller à l'indépendance de la justice, ait été mis sous tutelle du ministère de la Justice en mai 2005.
Le rôle de la communauté internationale
Pour la communauté internationale, le Cambodge représente “la plus grande expérience mondiale de transition d'une situation d'après-guerre vers la démocratie”. Mais malgré des milliards d'aide déversés, équivalents chaque année à la moitié du budget national, peu de progrès ont été réalisés, une situation dont les donateurs doivent assumer une part de responsabilité. La Licadho les presse de se montrer plus exigeants vis-à-vis des résultats du gouvernement. Un changement d'attitude qui ne sera pas facilité par l'arrivée fracassante de la Chine sur la scène politique locale. Avec 600 millions de prêts et de dons en 2006, elle pèse à elle seule autant que l'ensemble des pays donateurs. “Aucune condition n'a été imposée, aucun indicateur posé... La Chine parle moins mais fait beaucoup”, s'était réjoui Hun Sen. L'arrivée de ce “partenaire silencieux” pourrait bouleverser l'équilibre entre le Groupe consultatif et d'autres donateurs, redoute l'ONG.
SoS
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