Cambodge : le pavé d’un commissaire de police en fuite
Heng Pov, un ancien chef de la police de Phnom Penh et ex-conseiller du premier ministre Hun Sen, a directement impliqué le pouvoir cambodgien dans des assassinats politiques ainsi que dans le trafic de drogues et la vente de biens publics. Diplomates et analystes à Phnom Penh tendent à croire que la majorité des assertions de Heng Pov, dans un entretien publié le 17 août par L’Express, sont crédibles. Heng Pov se cache à Singapour, affirmant que sa sécurité s’il regagnait le Cambodge. Il dit s’être décidé à révéler les dessous du régime parce que le gouvernement cambodgien avait eu vent de ses contacts avec l’opposition et voulait le neutraliser.
Personne ne semble surpris par certaines allégations pourtant explosives. Entre autres, l’ancien commissaire accuse Hun Sen d’avoir ordonné des attaques à la grenade contre des manifestations des partis de Son Sann, en 1995, et de Sam Rainsy, en mars 1997. Il affirme que le chef de la police nationale Hok Lundy a fait assassiner l’ancien co-ministre de l’intérieur Ho Sok (Parti Funcinpec) lors de l’épreuve de force de juillet 1997, afin de couvrir l’homme d’affaires Mong Rethy, un proche de Hun Sen impliqué dans un trafic de cannabis.
Hok Lundy, fidèle de Hun Sen depuis qu’ils se sont connus au Vietnam en 1978, aurait ordonné en 1999, toujours selon Heng Pov, le meurtre de l’actrice Piseth Pilika, qui avait eu une liaison avec Hun Sen, afin de calmer la jalousie de Bun Rany, épouse du premier ministre. Enfin, les assassinats en 2003 d’Om Ramsady, député du Funcinpec et ancien conseiller de Sihanouk, et en 2004 du syndicaliste Chea Vichea sont également attribués, par le fugitif, à Hok Lundy. Heng Pov affirme avoir des documents et des enregistrements de conversations pour appuyer ses dires.
Parce qu’il a été longtemps le subordonné et le comparse de ceux qu’ils dénoncent aujourd’hui,- et qu’il a largement profité du système -, les accusations de Heng Pov doivent être accueillies avec prudence jusqu’au jour où il fournira des preuves. Le gouvernement cambodgien l’accuse aujourd’hui du meurtre d’un juge. Néanmoins, une ONG à Phnom Penh confirme que l’ancien commissaire de police de la capitale l’avait contactée, avant de s’enfuir, pour lui donner des informations sur des violations des droits de l’homme. Selon une source, Heng Pov était aussi entré en contact avec certaines ambassades, qui avaient préféré ne pas le recevoir pour ne pas indisposer Hun Sen. Un diplomate affirme que le rapport du FBI américain sur l’attentat à la grenade du 30 mars 1997 lors d’une manifestation des partisans de Sam Rainsy – 16 morts – concluait à l’implication de gardes du corps de Hun Sen. Mais le rapport n’avait pas été publié.
Les accusations de Heng Pov interviennent à un moment où le contrôle du clan Hun Sen sur le pays paraît plus fort que jamais. Le Funcinpec a beau demeurer au sein de la coalition gouvernementale, il a perdu toute influence : après cinq mois d’absence, un bref séjour au Cambodge, en août, de son président, le prince Norodom Ranariddh, pour apaiser les conflits au sein du mouvement, s’est soldé par un fiasco.
En tournée au Canada et aux Etats-Unis, Sam Rainsy a déclaré que l’opposition devrait rester à l’écart de cette affaire car, estime-t-il, il s’agit d’une dispute « interne » du PPC, le parti de Hun Sen. Sans préjuger de l’avenir, les principaux pays donateurs ont réagi de manière discrète aux accusations portées par Heng Pov. « Il y a un silence énorme de leur part », constate un diplomate. « Cette affaire montre qu’il y a encore des progrès à faire en matière d’Etat de droit. A partir de là, soit vous pliez bagage en adoptant la ligne vertueuse, soit vous y voyez un encouragement à poursuivre votre travail pour améliorer les choses », indique un observateur à Phnom Penh.
Heng Pov, qui a déposé une demande de statut de réfugié politique auprès du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, fait l’objet d’une notice rouge d’Interpol à la demande du gouvernement cambodgien : elle ne constitue pas un mandat d’arrêt international mais signale seulement qu’il existe un mandat d’arrêt contre lui au Cambodge. Comme il n’existe pas de traité d’extradition entre Singapour et le Cambodge, Heng Pov ne semble pas menacé, dans l’immédiat, d’être renvoyé dans son pays. Selon des analystes, il lui sera toutefois difficile d’obtenir l’asile politique dans un pays tiers. Les preneurs manquent.
Focus Asie du Sud-Est, Vol 1, No 9