Les onze familles françaises rentrent du Cambodge avec leurs enfants adoptés. Epilogue heureux d'une situation bloquée depuis juillet 2003.
De notre envoyée spéciale Martine Betti-Cusso
[31 décembre 2004]
Les onze familles adoptantes françaises entrevoient enfin la fin de leur cauchemar. Plus proches de la brutalité des images du film Holy Lola que de la «jolie» histoire vécue au Vietnam par Johnny et Laeticia Hallyday, ces familles s'étaient vu attribuer un enfant cambodgien, qu'elles ne pouvaient ramener en France parce que les autorités françaises ont suspendu depuis juillet 2003 tous les dossiers d'adoption. Les démarches et l'attribution de l'enfant avaient été effectuées avant ce moratoire. Pourtant et durant plus d'un an et demi, parents et enfants ont attendu, chacun de leur côté, de pouvoir se retrouver.
L'heureux dénouement est arrivé comme un cadeau de Noël. A Phnom Penh depuis le 10 décembre, les familles réunies, vont toutes rentrer en France d'ici le 10 janvier - certaines ont déjà pris l'avion du retour -, après avoir reçu le feu vert de Hun Sen, le Premier ministre cambodgien. Le délai de rigueur de trois mois pour obtenir l'autorisation d'adoption a été réduit exceptionnellement à trois semaines.
Mais il aura fallu qu'un des pères de famille entame une grève de la faim, que Jean-Pierre Raffarin s'engage à débloquer rapidement ces dossiers et qu'il demande au ministre délégué à la Coopération, Xavier Darcos, d'intervenir en ce sens lors de son récent voyage au Cambodge. Le ministre et sa délégation ont rencontré les familles, soulagées et sereines. Pouvaient-elles rêver meilleure providence que Xavier Darcos venu pour Noël avec une hotte pleine de projets de coopération - 25 millions d'euros financés pour 2005 - dont le Cambodge est très demandeur.
Si le ministre français avait une mission générale beaucoup plus large - rencontrer le nouveau roi Norodom Sihamoni, le Premier ministre Hun Sen, le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Hor Namhong, et annoncer les aides financières de la France pour l'organisation du procès des ex-dirigeants Khmers rouges, pour la restauration de la cité d'Angkor, pour la formation d'enseignants et de juristes ... -, le sort des onze familles lui tenait manifestement particulièrement à coeur. A preuve, la présence dans sa délégation du député Yves Nicolin, président du Conseil supérieur de l'adoption, et de Guy Douffet, en charge des questions de l'adoption au cabinet de Philippe Douste-Blazy.
Au-delà du cas des onze familles, ils avaient aussi pour objectif de travailler à la réouverture du processus d'adoption au Cambodge. En 2002, 200 familles françaises ont adopté un ou une petite Cambodgienne. Ce n'est pas négligeable. La réouverture des procédures pourrait intervenir au cours du premier trimestre de l'année 2005 à condition que soit installé un dispositif garantissant le consentement à l'adoption des parents biologiques. Il s'agit d'en finir avec les trafics d'enfants et les dérives financières qui ont conduit la France, suivie des Etats-Unis, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne, à stopper toute procédure, tandis que l'Italie les poursuivait.
L'optimisme du ministre Darcos
Sur place, une mission interministérielle française étudie avec les autorités cambodgiennes la mise en oeuvre d'un tel processus sécurisé, conforme à la convention de La Haye garantissant la protection de l'enfant et la coopération en matière d'adoption internationale. Cette procédure exige des réformes administratives indispensables pour que le Cambodge puisse adhérer à cette convention.
Il faudra ainsi surmonter des écueils propres au pays. Ici, les enfants abandonnés sont déposés dans les orphelinats sans que l'on sache qui ils sont ni s'ils sont confiés par leurs parents provisoirement ou définitivement. L'état civil, payant, n'est pas entré dans les moeurs cambodgiennes. Les orphelinats qui reçoivent environ 4,5 dollars par enfant et par mois - une somme déjà trop insuffisante pour soigner les enfants malades - n'ont pas les moyens de mener une enquête approfondie. Dans le meilleur des cas, ils ne font qu'afficher une photo du nourrisson avec une demande de renseignements. De leur côté, les autorités cambodgiennes ont d'autres chats à fouetter. Le pays, parmi les plus pauvres du monde (un peu plus de 200 euros de revenu annuel), est gangrené par la corruption et les divisions politiques. Il panse encore les blessures de vingt années de guerre et du génocide organisé par les Khmers rouges (1,7 million de personnes exécutées).
Selon le député Yves Nicolin, cette enquête pourrait être menée par une personne détachée sur place ou par une organisation non gouvernementale, en attendant que le Cambodge organise la tenue de registres d'état civil. Xavier Darcos, lui, se montrait optimiste, après ses entretiens avec le Premier ministre Hun Sen et d'autres membres du gouvernement cambodgien, quant à la volonté des autorités de Phnom Penh de reprendre les adoptions par des parents français «sur des bases saines». Le retour des onze familles pourrait donc être un nouveau départ pour l'adoption d'enfants au Cambodge.