Le pouvoir cambodgien se révèle aussi corrompu que corrupteur. L'Express .
L'Express du 28/03/2005
Pots-de-vin à Phnom Penh
par Sylvaine Pasquier
Le pouvoir cambodgien se révèle aussi corrompu que corrupteur. L'Express en
apporte la preuve
Sur papier à en-tête du gouvernement royal du Cambodge, l'un des documents dont
L'Express a obtenu copie, daté du 17 mai 2004, porte la signature du Premier
ministre, Hun Sen. Il ordonne qu'un avion, modèle Falcon 20 E, série 322, soit
«transféré du département de Transport aérien des hautes délégations», pour
être «placé sous le contrôle du prince Norodom Ranariddh, président du
Funcinpec [le parti royaliste]». Ce modeste «cadeau» précédait de peu l'accord
scellé le 30 juin 2004 entre les deux dirigeants. En se ralliant à Hun Sen, le
prince sortait ce dernier de l'impasse politique qui l'empêchait, depuis un an,
de former un gouvernement - le Parti du peuple cambodgien (PPC) ne disposant pas
à lui seul d'une majorité suffisante. Dès juillet 2004, un journal en langue
khmère dénonçait les «pots-de-vin» offerts à Ranariddh pour prix de sa rupture
avec l'Alliance des démocrates - qui réunissait les royalistes et le Parti Sam
Rainsy (PSR), principale force d'opposition. Outre le Falcon, il aurait perçu
plusieurs dizaines de millions de dollars versés par des hommes d'affaires
proches du PPC. Le prince n'a pas daigné démentir. L'opposition ose-t-elle
réclamer des explications que les tenants du pouvoir se liguent pour l'abattre.
Le 3 février dernier, l'Assemblée nationale levait l'immunité parlementaire de
Sam Rainsy, dirigeant du PSR, ainsi que celle de Chea Poch et de Cheam Channy,
deux élus du même parti. Les Nations unies, le Sénat australien, des élus et
des officiels américains, le Parlement européen… réagissent avec vigueur.
L'ex-roi Norodom Sihanouk suggère en vain un plan pour régler la crise.
Un assassinat, une mort inexpliquée...
Une avalanche de plaintes en diffamation s'abat sur Sam Rainsy - quelques unes
sur Chea Poch. Adepte, d'ordinaire, de méthodes plus expéditives, le régime
aurait-il changé de tactique? Tant qu'à neutraliser l'adversaire à moindres
frais, les tribunaux, aux ordres, peuvent servir. Le Funcinpec, le PPC, une
poignée de bonzes et businessmen affiliés s'y emploient. Hun Sen lui-même
assigne en justice le chef de l'opposition, qui l'a mis en cause dans
l'assassinat du syndicaliste Chea Vichea. Avant sa mort, celui-ci avait
enregistré une cassette où il faisait état d'une liste d'opposants, dont
lui-même, que le pouvoir chercherait à éliminer…
Sam Rainsy et Chea Poch ont réussi à quitter le pays. Cheam Channy a été
incarcéré à la prison militaire de Phnom Penh. Chargé de la défense au sein du
«shadow cabinet» du PSR - ce qui n'a rien d'une activité séditieuse - il est
accusé, sans preuves, d'avoir formé une «armée de l'ombre». On craint que des
«aveux» ne lui soient arrachés sous la torture.
Malgré l'état de la justice cambodgienne, sélective et inféodée au régime, Sam
Rainsy contre-attaque sur le terrain de la corruption. Le 10 janvier 2003, le
prince Ranariddh, en sa qualité de président de l'Assemblée nationale, signait
avec Cheam Yeap (PPC), à la tête de la commission des Finances, un contrat
attribuant la construction du nouveau siège de l'Assemblée - pour «26 673 350
dollars» - à Ly Chhuong, patron d'une compagnie locale. Coïncidence, le fils de
ce dernier et la fille de Cheam Yeap s'étaient mariés quelques semaines plus
tôt.
Une société australienne rivale, la 5 Golden Stars, associée à une firme
thaïlandaise et à un entrepreneur cambodgien, Kim Kheang, a été écartée. Elle
proposait de réaliser l'édifice avec les mêmes spécifications pour «13 millions
de dollars». Témoin clef dans cette affaire, Kim Kheang est mort le 7 février
d'un mal soudain et non élucidé… Procédé typique de la corruption, la
surfacturation des contrats publics s'exerce au détriment du budget de l'Etat.
Sachant que les pays donateurs financent à plus de 50% celui du Cambodge, voilà
qui devrait les inviter à la réflexion.