L’enseignement bouddhique décliné au féminin

Cambodge - Education - L’enseignement bouddhique décliné au féminin
07-09-2005
Cambodge Soir - Et si la pagode devenait un lieu de promotion sociale et d’éducation pour les filles? Véritable hérésie pour les défenseurs purs et durs de la tradition bouddhique khmère, l’idée fait pourtant petit à petit son chemin. Autrefois exclusivement réservés aux garçons qui venaient apprendre la littérature, les cours dispensés dans les pagodes du pays s’ouvrent progressivement à la gente féminine.
C’est le cas de la pagode Kandal, située dans la province de Battambang. En pénétrant dans les lieux, les fidèles ont la surprise d’entendre des voix féminines s’échapper de la cellule d’un bonze. Un groupe de trois filles est en train de réviser la leçon de la veille, avec Kuon Kim, un bonze de 28 ans, dans une ambiance des plus studieuses. Un jeune bonze, assis dans un hamac, se tient un peu à l’écart, à deux mètres des jeunes filles.

Parmi elles, Rai Naren, 18 ans, est une habituée des lieux qu’elle a commencé à fréquenter l’année dernière à l’occasion de l’ouverture d’un cours d’anglais. Naren apprécie les méthodes d’enseignement des bonzes, qui privilégient la discussion. “Les bonzes expliquent différemment des autres professeurs. Et ils donnent aussi des cours de savoir-vivre et des conseils pour bien se comporter avec eux quand on est une fille”, explique la jeune étudiante.

Quand elle suit des cours à la pagode, Naren y passe la journée. Sa maison se trouvant à quinze kilomètres du centre-ville de Battambang, elle ne pourrait s’offrir le luxe de faire plusieurs allers-retours en moto-taxi.

Son amie Im Sa Ngœum, 24 ans, est dans la même situation. Issue d’une famille pauvre, elle n’aurait pas eu la possibilité d’étudier sans l’aide des bonzes. “Ma famille n’a pas les moyens de me payer des cours privés de langue”, regrette-t-elle. Les cours dispensés gratuitement par les bonzes sont donc une chance pour cette jeune fille.

Le petit groupe de filles doit rester dans la cellule de Kuon Kim, en attendant les cours du soir. “Le matin, je prépare des plats pour le bonze, explique Sa Ngœum, on partage souvent le repas. Il nous donne des choses à manger. Parfois, je ramène des noix de coco, tandis que mes amis et le bonze ramènent du riz”.

Tout se déroule en tout bien tout honneur, donc. Malgré cela, les jeunes filles font l’objet de railleries, dès qu’elles posent un pied dans l’enceinte de la pagode, que ce soit de la part des chauffeurs de motos-taxis ou des jeunes bonzes eux-mêmes. Difficile d’éviter les regards curieux, les sifflements, les petites phrases et... la drague.

Pour Pop Bopha, assister aux cours de la pagode n’a pas été chose facile. Elle a longuement hésité avant d’oser franchir le pas, il y a un an, contre l’avis de sa famille très attachée à la tradition. Pour sa mère, la pagode est un lieu exclusivement réservé aux garçons : “Elle ne veut pas que j’y aille trop souvent, même si c’est pour y suivre des cours de langue, explique la jeune fille. Elle m’a demandé de ne pas embêter les bonzes en apprenant avec eux dans leur cellule. Elle a peur que ça me donne un mauvais karma, si jamais je me comporte mal avec les bonzes”. En un an, le regard de Bopha sur les moines bouddhistes a changé. Avant, elle craignait de s’en approcher dans la rue : “J’avais toujours peur de ne pas savoir parler comme il fallait aux bonzes. Mes parents m’ont toujours dit qu’il fallait leur témoigner beaucoup de respect.” Depuis qu’elle apprend avec les bonzes, cette crainte s’est dissipée et elle entretient à présent des relations amicales avec eux.

Une évolution que tout le monde ne voit pas d’un bon œil au sein de la pagode, notamment chez les bonzes plus âgés. Depuis l’ouverture des cours aux filles, Him Hong, 75 ans, a constaté des comportements “bizarres” de la part des jeunes bonzes. Pour lui, les filles n’ont pas leur place dans l’enseignement dispensé au sein de la pagode. “La règle bouddhique est très stricte. Il est interdit pour un bonze de s’amuser avec des filles ou de rester avec elles à l’abri du regard d’autrui. Les bonzes risquent de ne pas avoir une conduite fidèle au bouddhisme. Et dans ce cas, la règle veut qu’ils quittent l’habit”, prévient Him Hong.

Face à ces critiques, Kuon Kim ne change pas de discours. Pour lui, l’essentiel est de partager ses connaissances avec les jeunes, sans distinction de sexe. “Enfant, j’avais moi-même des difficultés d’argent pour pouvoir apprendre. Je comprends donc leur situation, raconte le jeune bonze. Dans le bouddhisme, on peut partager ses connaissances aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes, à condition que ces personnes aient véritablement la volonté d’apprendre. Tout dépend de notre comportement, si on est honnête ou pas. Mais que ce soit bien clair : nous ne faisons rien d’autre que d’apprendre ensemble”.

Plus sensible aux critiques, une de ses élèves, Ya Sithsophea, s’insurge contre les regards accusateurs de l’entourage. Pour elle, la tradition khmère qui prive les filles de tout contact avec les bonzes est injuste : “Réserver l’enseignement des pagodes uniquement aux garçons est une injustice pour les filles. Pourquoi donc les filles ne pourraient-elles pas adresser la parole aux bonzes?”

Chheang Bopha
Source : Cambodge Soir