Thaksin résiste à la pression de la rue
PHILIPPE PAQUET
Mis en ligne le 17/03/2006
- - - - - - - - - - -
Le Premier ministre exclut de s'effacer temporairement d'ici aux élections du 2 avril.
Critiqué par l'élite urbaine, il conserve la confiance des campagnes, majoritaires.
Le pays n'en est pas moins confronté au risque d'une crise complexe et prolongée.
ANALYSE
Le Premier ministre thaïlandais, Thaksin Shinawatra, est revenu jeudi sur des propos tenus la veille, pour démentir toute intention, dans son chef, de se tenir à l'écart du gouvernement jusqu'aux législatives anticipées qu'il a convoquées pour le 2 avril. En campagne électorale dans le nord-est du pays, il avait donné à entendre, mercredi, qu'il pourrait se retirer temporairement, ainsi que le lui recommandaient des intellectuels et des hommes d'affaires après cinq grandes manifestations de protestation en cinq semaines.
«Les rumeurs sont les rumeurs. Elles sont lancées par des gens qui veulent qu'elles deviennent réalité», a commenté M. Thaksin. Cette intransigeance risque de plonger la Thaïlande dans une crise complexe et prolongée dans la mesure où peu d'observateurs pensent que le scrutin du 2 avril apportera une solution durable. Les élections ne devraient pas dégager, en effet, une majorité significative et, si l'opposition les boycotte comme elle en a le projet, elles manqueront par ailleurs de légitimité démocratique. Le processus est déjà largement frappé de discrédit depuis que la Commission électorale a écarté 320 des 941 candidats!
Immoral plus qu'illégal
La difficulté est corsée par la nature des critiques adressées à M. Thaksin et l'absence de véritable alternative à son gouvernement. De façon générale, le Premier ministre est taxé de corruption mais les faits qui ont récemment mis le feu aux poudres révèlent un comportement davantage immoral qu'illégal. En cause, la vente par la famille de M. Thaksin des 49,6 pc qu'elle détenait dans l'entreprise de télécommunications Shin Corp, au profit de Temasek Holdings, la société publique d'investissements de Singapour.
Les opposants au gouvernement lui reprochent d'avoir laissé partir en des mains étrangères un des joyaux de l'économie thaïlandaise, tandis qu'ils s'indignent de voir les proches de M. Thaksin éluder l'impôt puisque les transactions en bourse des particuliers ne sont pas taxées. Certes, il ne s'agit pas du Premier ministre lui-même et, si son fils Panthongtae a été récemment condamné à une lourde amende pour malversation, lui-même n'a légalement rien à se reprocher.
Il n'empêche que, s'agissant d'une des familles les plus riches du pays, pareil comportement fait aisément scandale. A plus forte raison que Thaksin Shinawatra a bâti sa carrière sur un populisme qui flatte les masses paysannes et pauvres, lesquelles représentent les deux tiers de la population. Au lendemain du désastre provoqué par le tsunami et malgré le défaut de prévoyance imputé à son gouvernement, le Premier ministre avait réussi, en jouant toujours du même ressort, à se faire triomphalement reconduire, son parti, le Thai Rak Thai, raflant 375 des 500 sièges en lice.
C'est finalement l'élite urbaine, concentrée dans la capitale, Bangkok, qui dénonce les méthodes et les manières de M. Thaksin. Mais sans être nécessairement convaincue de l'opportunité de son éviction dans la mesure où aucune forte personnalité n'émerge pour le remplacer. Or, une instabilité de longue durée est la dernière chose que souhaite un royaume qui a fondé sa prospérité sur le tourisme et les investissements étrangers.
© La Libre Belgique 2006