Avril 2006 au Cambodge : le paysage politique se transforme
par Jean-Pierre ROTH
Après un an d’exil, Sam Rainsy, leader de l'opposition démocratique, a débarqué à l’aéroport de Pnom Penh-Pochentong
Sam Rainsy, le chef de l’opposition démocratique au Cambodge, était de passage à Paris au début d’avril avant son retour au Cambodge. Après un an d’exil, Sam Rainsy a débarqué à l’aéroport de Pnom Penh-Pochentong, grâce à une grâce royale obtenue par le Premier ministre Hun Sen qui l’avait fait dépouiller de ses droits de parlementaire en février 2005 puis condamner à la prison. A la faveur de ce retournement inattendu, le retour de Sam Rainsy aurait pu paraître comme un cadeau fait au pouvoir sans contrepartie. On peut affirmer que la situation est tout autre, car on assiste à un début de dialogue, difficile mais réaliste, entre les chefs des deux principales formations politiques du Cambodge.
Les résultats politiques en sont d’ores et déjà sensibles. Jusqu’à cette année, le PSR («Parti de Sam Rainsy» : 22% des voix aux législatives de 2003) avait été évincé de l’essentiel des travaux parlementaires par le ralliement au Parti Populaire Cambodgien («PPC») du Premier Ministre Hun Sen (47% des voix en 2004) du FUNCINPEC (21% des voix), le parti créé sous l’étiquette « royaliste » par le Prince Ranariddh mais désavoué par son père, le Roi Sihanouk lui-même. On se rappelle qu’après avoir fait alliance avec le PSR pour empêcher, pendant 15 mois, la formation d’un gouvernement selon la règle constitutionnelle des deux tiers, le troisième parti de l’échiquier cambodgien s’était brusquement rallié au parti majoritaire et en avait obtenu des avantages exorbitants, dont la présidence de l’assemblée nationale et la co-gestion de plusieurs ministères-clefs. Or, il vient d’être privé de ce statut néfaste de «parti charnière» par l’accord de Sam Rainsy et de Hun Sen qui, ensemble, ont changé la règle constitutionnelle et admis qu’une majorité simple à l’assemblée suffirait désormais à la formation d’un gouvernement.
S’étant ainsi – pourrait-on dire - reconnus l’un l’autre, le PPC et le PSR ont maintenant à préparer les élections communales qui doivent avoir lieu en 2007 et les élections législatives de 2008. Quelles sont les chances que progresse la démocratie à partir de la situation de trêve armée qui, pour l’instant, semblent être celle des deux adversaires ? Je prendrai ici le risque d’avancer qu’elles ne sont pas méprisables, si l’on tient compte des grandes forces qui sont à l’œuvre dans l’environnement international et dans le pays.
Que Hun Sen ait choisi de mettre un frein aux exactions et d’entamer le dialogue avec Sam Rainsy est dû, en premier, à la pression des pays donateurs dont l’aide permet au Cambodge de boucler son budget. En 2006, ces pays – dont les principaux sont le Japon et la France - ont su agir en concertation ouverte : leur pression sur le Gouvernement cambodgien a ainsi pu être efficace. Le deuxième facteur est que Hun Sen a bien été forcé de reconnaître que l’exil forcé de son Président n’avait diminué en rien la cohésion ou la combativité du PSR. Financé en grande partie par les Cambodgiens de la diaspora, le Parti de Sam Rainsy se prépare même à lancer une réforme interne qui promet de faire date dans la vie politique du pays : celle de confier à la base la désignation de ses candidats par le moyen d’élections primaires qui remplaceront le système traditionnel de nomination par les instances du parti. Le facteur à long terme est, enfin, que le Premier Ministre à la longévité légendaire est sans doute bien forcé de partager l’analyse que, depuis des années, fait de son côté Sam Rainsy sur les grands facteurs démographiques qui transforment profondément le pays. Le Cambodge est un pays jeune : 14 millions d’habitants dont 70% ont moins de 30 ans, qui chaque année compte 300 000 nouveaux électeurs. Il est en voie rapide d’urbanisation. Or, comme on l’a vu élection après élection – et notamment dans la capitale Phnom-Penh – les jeunes ont tendance à se rallier au parti qui leur offre un avenir normal, plutôt qu’à exprimer leur gratitude au libérateur qui, appuyé par une armée étrangère, avait su chasser des dirigeants sanguinaires qu’ils n’ont pas connus.
Patience et prudence restent de mise : il est difficile de se départir d’un pouvoir que l’on a exercé longtemps de manière absolue - et sur le terrain, les petits chefs sont toujours moins rapides que les grands chefs à adopter de nouveaux comportements. Mais l’on peut croire que les deux leaders sont, par des voies très différentes, amenés à concevoir des visions plus proches de l’avenir – Sam Rainsy par conviction, Hun Sen par réalisme. Toujours adversaires, mais peut-être non plus ennemis comme naguère, tous deux sont aujourd’hui au travail dans une convergence qui, si elle se confirme, peut produire le plus grand bien pour leur pays.
Jean-Pierre Roth, 12 avril 2006
NDLR: Jean-Pierre Roth est le conseiller françaisde Sam Rainsy
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