Chroniques d'un génocide : Cambodge 1975-1979 - EXPO A LYON
Un message de la part de Caroline Gurret
Chroniques d'un génocide : Cambodge 1975-1979
3 mars - 28 août 2005
Présentation de l'exposition
Montrer la réalité d'un régime parmi les plus sanguinaires du XXe siècle au
travers d'une exposition constitue un véritable défi. En effet, les
documents disponibles sont, somme toute, peu nombreux et principalement
constitués de portraits des victimes avant leur exécution. Cela signifie
qu'il est très difficile d'évoquer, par l'iconographie, ce que fut le
Cambodge durant les presque quatre années du régime khmer rouge. Les
reportages photographiques sont rarissimes, les films inexistants, les
photos et dessins d'amateurs peu nombreux : tous auraient pu conduire leurs
auteurs à la mort. Demeurent les témoignages des survivants, les mémoires
des bourreaux, les documents collectés par les archives nationales du
Cambodge et ceux éparpillés dans les agences de presse et dépôts d'archives
du monde entier. Ce manque est en lui-même chargé de sens : les meurtriers,
comme d'autres avant eux, voulaient laisser le moins de traces possible. Et
pourtant, ces traces, ces preuves existent : elles sont démographiques,
archéologiques, historiques et mémorielles.
Il est important, pour prendre la mesure de la monstruosité du projet de "
rénovation de la société cambodgienne " conçu par Pol Pot et ses partisans
(Pol Pot estimant que seul un million d'habitants était réellement
indispensable à la Révolution et que les autres pouvaient donc disparaître),
de bien percevoir l'identité du Cambodge, sa culture, sa spécificité dans sa
sphère géographique, sa religion et son histoire. Il est important aussi de
considérer avec attention l'après-génocide, ce long épisode de guerre civile
entre pro-vietnamiens et anciens Khmers rouges réfugiés dans les marges du
pays.
Le Cambodge, un pays de traditions
Afin de mieux comprendre les événements tragiques qui ébranlèrent le
Cambodge, le visiteur est tout d'abord invité à s'initier à l'histoire du
pays : un parcours parsemé de photos et d'objets lui fait traverser la
grande période angkorienne (à laquelle Pol Pot fait référence dans sa quête
d'un idéal de pureté khmère) et l'amène jusqu'au milieu du XXe siècle,
dévoilant des années de présence coloniale française. à l'occasion de
l'exposition, le Muséum de Lyon (ancien musée Guimet) a exceptionnellement
consenti au prêt de pièces maîtresses de sa collection : une maquette du
temple Bayon réalisée à la fin du XIXe siècle, une série de statues d'art
khmer datées du VIIIe au XIVe siècle dont un Bouddha couché polychrome, une
tête de Shiva, qui rappellent à quel point la civilisation khmère est
imprégnée de l'Inde. Ces oeuvres, que même les Lyonnais n'ont pu voir depuis
des années, sont saisissantes par leur qualité mais émeuvent surtout par le
fragile témoignage qu'elles apportent de la pérennité d'une culture face aux
violences de l'histoire.
Le Cambodge, pays profondément religieux, ancré dans ses traditions (poids
de l'autorité royale, place importante des moines dans la société, respect
des anciens), va subir de plein fouet le choc de l'histoire. Choc de
l'occupation japonaise, après celui de la colonisation, qui permet aux
courants indépendantistes de prendre leur essor, choc de la montée du
communisme en Asie qui place la péninsule indochinoise au coeur de la guerre
froide avec la guerre du Vietnam, choc de la guerre civile, enfin, à partir
de 1970.
La violence d'un nettoyage ethnique et d'une guerre des classes
Cette montée vers la catastrophe est résumée en une série de photographies
de presse qui introduisent la partie centrale de l'exposition consacrée au
génocide.
La séquence est scandée par des témoignages de survivants ou de témoins, tel
François Bizot, ethnologue français spécialiste du bouddhisme et détenu
pendant plusieurs mois par les Khmers rouges. Le visiteur y croisera les
portraits d'une quarantaine de victimes, quelques photos sélectionnées parmi
les milliers conservées au musée du génocide de Phnom Penh. Ces visages ne
doivent pas faire oublier les innombrables hommes, femmes et enfants morts
de faim, de maladies non soignées, d'épuisement dû au travail forcé, de
mauvais traitements et d'indifférence et dont l'histoire ne conservera ni
portraits ni sépultures. Seuls ceux qui ont été " directement " exécutés ont
eu le sinistre privilège d'être photographiés et immatriculés.
Des vues de la capitale du Cambodge, métropole de trois millions d'habitants
vidée en une nuit (de nombreuses familles fuyant la guerre civile s'y
étaient réfugiées), des photos d'enfants soldats, promus bourreaux de leurs
parents viennent opposer un démenti cinglant - et sanglant - aux articles
flatteurs de certains journalistes occidentaux, séduits dans un premier
temps par cette " intéressante " expérience révolutionnaire.
Au total, 1,7 million d'êtres humains, soit le quart de la population du
pays périra entre 1975 et 1979. Le régime, appliquant une doctrine maoïste
extrême, a tenté de construire dans la violence une société nouvelle, fondée
sur une pureté khmère, effrayant mélange de nationalisme exacerbé (les
khmers rouges se sont livrés à un nettoyage ethnique visant notamment les
minorités) et de guerre des classes (les intellectuels, les militaires, les
citadins devaient disparaître).
Une lente reconstruction
Janvier 1979 constitue la date communément admise de la fin du régime khmer
rouge : en effet, l'invasion vietnamienne met fin aux massacres de masse.
Cependant, les vingt-cinq dernières années ont apporté leur lot de
souffrances au peuple cambodgien. Grâce à certaines instances présentes sur
le terrain, le CHRD a pu apporter un éclairage sur les difficultés de la
reconstruction d'un pays pratiquement anéanti. Le visiteur pourra ainsi
découvrir, à travers des photos d'archives prêtées par Handicap
International, les dégâts des mines antipersonnel dans ce pays où l'on
compte le plus de victimes au monde tuées et blessées par ce biais. Parmi
les richesses que le public trouvera au fil de l'exposition, des photos et
des publications (dont celles du Fonds d'Édition des manuscrits du Cambodge)
de l'École française d'Extrême-Orient : l'action de l'EFEO a permis de
sauver du néant où voulaient les plonger les révolutionnaires des manuscrits
anciens. Enfin, les clés données par le barreau de Lyon, investi depuis plus
de vingt ans dans la reconstruction juridique du pays grâce à des actions de
coopération (notamment de formation de juristes cambodgiens), permettent de
mieux comprendre la question extrêmement complexe de la justice
internationale et les difficultés de son application. 2005 devrait être
l'année du jugement des Khmers rouges par un tribunal international. à ce
jour, aucun coupable n'a été jugé.
Le Cambodge, s'il se reconstruit peu à peu, porte toujours en lui les
blessures des années de guerre civile et du génocide qu'il a subi. Comment
réapprendre à vivre quand bourreaux et victimes se côtoient toujours ? Les
Khmers rouges ont laissé derrière eux des enfants sans pères, sans repères :
c'est toute une génération qui a grandi en rupture totale avec les
traditions anciennes, baignée dans une violence exacerbée. Ce sont ces
jeunes qui aujourd'hui essaient de trouver leur place dans une société en
reconstruction, dans un monde qui s'ouvre sur l'extérieur, notamment grâce
au tourisme, et qui renoue avec sa culture ancestrale, sa religion, en
rebâtissant les sites anéantis alors.
Caroline Gurret
Chargée de Communication
Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation
14 avenue Berthelot 69007 Lyon