L’ONG CWCC une nouvelle fois sur la sellette
CWCC (Cambodian women’s crisis center), une ONG d’assistance aux femmes en difficulté, se trouve pour la deuxième fois cette année au cœur d’une polémique dont le dénouement pourrait avoir de lourdes conséquences sur la lutte contre la pédophilie dans le royaume. Six mois après la publication d’une enquête de la Far eastern economic review (CS du 25/3) qui l’accusait de soudoyer témoins et policiers pour faire arrêter des pédophiles présumés, cette ONG à la réputation jusque-là irréprochable se trouve à nouveau mise en cause et sommée de répondre de ses méthodes.
Huit jeunes filles, âgées de 11 à 18 ans, qui avaient accusé devant la cour de Siem Reap un Australien d’une trentaine d’années de les avoir violées, ont en effet récemment retourné leurs accusations contre CWCC. L’ONG, disent-elles, les aurait pousser à porter plainte contre de fortes sommes d’argent. Arrêté le 2 février 2002, ce professeur d’anglais avait été condamné à 20 ans de prison et est incarcéré depuis deux ans dans l’attente de son jugement en appel. Dans une lettre adressée fin juillet à Hun Sen, les huit jeunes filles prient aujourd’hui le Premier ministre d’intervenir en faveur de la libération de celui dont elles clament désormais l’innocence. "Au moment des faits, CWCC nous a poussées à agir ainsi en nous promettant beaucoup d’argent. Mais l’ONG ne nous a jamais rien donné. Nous voulons maintenant porter plainte contre CWCC car nous avons été forcées d’apporter un faux témoignage qui a ruiné la réputation de [l’Australien]. Il est innocent", expliquent les auteurs de la lettre.
Déjà mise en cause par l’article de la Far eastern qui l’accusait d’avoir poussé deux adolescents à accabler un Néo-zélandais, condamné en février dernier à 20 ans de prison, CWCC fait une nouvelle fois part de son incompréhension. "Leur accusation [des huit jeunes filles] est injuste et non fondée, assure Sin Ly Pao, directrice par intérim. Notre ONG ne promet pas d’argent aux victimes qu’elle secourt. Nous ne les avons pas forcées à dénoncer cet homme. S’il était innocent, il n’aurait pas été arrêté et ne serait pas aujourd’hui derrière les barreaux. La police et la justice travaillent dans le respect de la loi : elles ne répondent pas aux ordres des ONG! Je ne sais pas ce qui leur a pris." L’avocat de trois des jeunes filles, Sin Sivon, témoigne de la même incompréhension : "L’Australien les avait payées pour qu’elles viennent disputer chez lui une partie de strip-poker. Une fois dévêtues, elles ont été abusées. Je ne comprends pas pourquoi elles modifient aujourd’hui leur témoignage".
Un étonnement que ne partage pas Kek Galabru, présidente de la Licadho, qui prête un crédit tout relatif à la volte-face des huit jeunes filles. "Ces enfants et leurs mères étaient déjà passées nous voir en clamant l’innocence de cet Australien", se souvient-elle, avant de retourner l’argument de la subornation de témoins : "L’argent régit beaucoup de choses ici. Si vous donnez de l’argent à un pauvre, il sera prêt à vous défendre. C’est déjà arrivé par le passé. Vous me parlez de personnes inculpées faute de preuve, mais on assiste surtout ici à des relaxations en dépit de la présence de preuves."
Cette polémique qui se nourrit du manque de crédit du système judiciaire - un juge ou un témoin peut tout aussi bien être corrompu pour accabler que pour innocenter un suspect - a trouvé un prolongement idéal sur la Toile, tribune ouverte à toutes les théories. Un site internet (www.inquisition21.com) donne ainsi la parole à de simples anonymes ou à des Occidentaux condamnés pour pédophilie. Le Néo-zélandais auquel s’était intéressé la Far eastern, actuellement sous les verrous, dénonce ainsi un complot orchestré par CWCC compromettant justice et police ainsi que des personnalités du précédent gouvernement. Il assure avoir fait l’objet de racket de la part du juge de Siem Reap et dénonce les tentatives de CWCC de soudoyer des habitants du village où il résidait pour les faire témoigner. Le cas de Rudolph Knuchel, un Suisse arrêté fin 2000 pour pédophilie, puis innocenté, et qui porte plainte contre CWCC pour diffamation, y est également évoqué.
Mu Sochua, ancienne ministre des Affaires féminines mise en cause sur ce site pour ses liens supposés avec CWCC, se pose en ardent défenseur de l’ONG et s’inquiète du coup porté par cette affaire à la lutte contre la pédophilie. "CWCC est une ONG honnête, une de celles qui travaillent le mieux, et c’est pour cette raison qu’on l’attaque. Il s’agit d’un coup très bien monté. Il y a à Siem Reap une communauté de pédophiles qui vivent sous couvert d’ONG et de volontariat. Ces gens ont tout intérêt à ruiner la réputation de CWCC, car si on perd cette ONG, il sera très difficile de la remplacer." Quelle que soit l’issue de cet imbroglio judiciaire, rappelle l’ancienne ministre, cette affaire souligne une nouvelle fois que le pays ne s’en sortira pas sans d’importantes réformes, au premier rang desquelles celle du système judiciaire.
Duong Sokha et Soren Seelow
Tourisme sexuel
La France doit coopérer avec les pays concernés
Un rapport sur la lutte contre le tourisme sexuel et la pédophilie, remis jeudi au gouvernement français, suggère de renforcer la coopération judiciaire et économique avec les pays qui reçoivent des délinquants français. Le Cambodge figure sur la liste des pays concernés. Selon l’Unicef, trois millions d’enfants dans les pays pauvres sont victimes de "touristes sexuels" en provenance des pays riches.
Elaboré à la demande des ministères de la Famille et du Tourisme par un groupe de travail (médecins, juristes, ONG, professionnels du tourisme..), sous la conduite de l’actrice Carole Bouquet, le rapport souligne des "progrès" depuis les années 90 dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs (congrès mondiaux de Stockholm et Yokohama, engagement des professionnels du tourisme, durcissement des législations...). Mais des lacunes demeurent. Certes, la France peut poursuivre et punir ses ressortissants ou résidents qui ont commis à l’étranger des crimes sexuels sur des mineurs. Mais les procès sont extrêmement rares (environ cinq en dix ans), pour diverses raisons, notamment l’insuffisance de la coopération avec les polices des pays concernés et des contacts noués avec les victimes. "Il faudrait, dans le cadre de conventions, encourager les autorités locales à signaler les Français suspects de tourisme sexuel aux autorités françaises. Le rôle des ambassades mériterait d’être renforcé", selon le rapport. En termes moins diplomatiques, Carole Bouquet, présidente de l’association "La Voix de l’enfant", a demandé que "la protection des ressortissants français ne soit pas la protection des pédophiles français" à l’étranger.
Pour lutter contre la pauvreté, cause majeure de la prostitution infantile, le rapport recommande également "l’appui d’entreprises françaises volontaires sur place, voire de leurs sous-traitants, pour accueillir en apprentissage les enfants âgés d’au moins 14 ans" pour les soustraire aux circuits de la prostitution. Pour le reste, le rapport suggère de davantage "sensibiliser et informer les ressortissants français s’expatriant ou voyageant à l’étranger", en insérant un rappel de la loi sur les billets d’avion ou les contrats de travail, ou de créer un label de "tourisme respectueux des enfants". En exemple de bonnes pratiques, le ministre délégué au Tourisme Léon Bertrand a cité un groupe français qui interdit à Bangkok l’entrée de ses hôtels à des mineurs non accompagnés de leurs parents.
Le rapport suggère enfin de renforcer l’éducation sexuelle à l’école, en France même. "J’y tiens beaucoup, comme les associations et les médecins. On apprend les mathématiques et le français, et en même temps, on ne sait pas grand-chose sur son corps, ses désirs et le respect de l’autre", a déploré Carole Bouquet.
Samir Tounsi (AFP)
Asia Foundation vient de mettre en service un site internet consacré à la lutte contre les trafics d’êtres humains au Cambodge et en Thaïlande. www.tipinasia.info ambitionne de servir de point d’accès aux ONG et officiels de gouvernements pour trouver et partager des informations. Liste des structures engagées dans ce combat, législations en vigueur, études de cas, actualité et forum constituent l’essentiel de ce site consultable en anglais, khmer et thaï. CS