BANLUNG (Cambodge), 26 août (AFP)
Ksor Huaih, l'un des Montagnards ayant fui la répression au Vietnam contre les minorités chrétiennes des Hauts-Plateaux, a juste emporté quelques vêtements et des fruits secs avant de se mettre en route à travers la jungle pour le Cambodge.
Bravant les violentes pluies de la mousson, les risques de contracter le paludisme dans les épaisses forêts ou, pire, de tomber sur la police vietnamienne, Huaih et les 23 autres habitants de son hameau ont laissé derrière eux une vie de misère et de répression pour partir vers l'inconnu, au début du mois.
"On a marché quatre jours pour atteindre la frontière et on n'a pas osé s'arrêter ni dormir. Les chemins étaient glissants et il a plu sans arrêt", dit Huaih interrogé par l'AFP à Banlung, dans le nord-est du Cambodge où il a échoué et contacté le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR).
"On était aux aguets en permanence, on avait même peur en entendant approcher un animal", dit ce paysan de 42 ans par le biais d'un interprète, "je priais pour ne pas être trouvé par la police vietnamienne".
"C'était effrayant. Si j'avais été pris je serais mort", assure-t-il.
Un autre réfugié décrit sa fuite comme "un enfer".
Les minorités chrétiennes des Hauts-Plateaux --qui avaient prêté main forte aux Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam dans leur lutte anticommuniste-- se sont à nouveau rebellées en avril, contre la politique de confiscation de leurs terres ancestrales et de répression des libertés religieuses menée par Hanoï, qui accuse les Montagnards de saper sa politique d'"unité nationale" et d'être manipulés par des mouvements d'exilés aux Etats-Unis.
En avril, des centaines de Montagnards ont participé à des manifestations dans les provinces de Dak Lak, Gia Lai et Lam Dong qui ont été brutalement réprimées. Des organisations de défense des droits de l'Homme ont parlé de dix morts. Hanoï de deux.
La répression a déclenché un nouvel exode de Montagnards vers le Cambodge, de l'autre côté de la frontière. Peu sensible au fardeau des minorités, Phnom Penh a renforcé sa surveillance de la frontière, mais au moins 256 réfugiés auraient réussi à pénétrer dans le pays et à se placer sous la protection de l'ONU.
La dernière vague d'arrivées est la plus importante depuis la répression des grandes manifestations de Montagnards en février 2001. Un millier d'entre eux avaient été réinstallés aux Etats-Unis l'année suivante.
Depuis, des refugiés ont continué de franchir la frontière par petits groupes. Ce dossier promet d'empoisonner longtemps les relations déjà peu faciles entre les deux voisins.
"Nous voudrions que cela (le flot de réfugiés) se tarisse bientôt parce que nous voulons garder des liens d'amitié avec les Vietnamiens", a déclaré à l'AFP le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khieu Sopheak.
Il a cependant ajouté que Phnom Penh continuerait d'autoriser le HCR a traiter les dossiers des demandeurs d'asile.
Huaih explique qu'il n'a pas pris part aux manifestations d'avril, mais qu'il ne pouvait plus supporter de vivre au Vietnam après la confiscation de son lopin de terre.
"Le Vietnam m'a trop opprimé", dit-il, "ils ont pris tout le terrain que j'avais pour cultiver le café et m'ont empêché de pratiquer ma religion".
Rolan Min, une trentenaire qui a fui dans le groupe de Huaih, dit aussi qu'elle n'en pouvait plus.
"Le gouvernement a pris toutes nos terres, nous a imposé de lourds impôts et nous a empêché de prier. On ne pouvait plus le supporter", dit-elle.
Les deux Montagnards ont fait partie d'un groupe transporté par avion à Phnom Penh par l'ONU le week-end dernier et dont la demande d'asile va être traitée.
"Ca ne m'importe pas vraiment d'aller ou non aux Etats-Unis", dit Min, "l'important c'est d'échapper à ce pays brutal".
cc-sb-pt/bm eaf
© Courrier international 2004