SIEM REAP, Cambodge (AP) -- La frénésie touristique qui s'accroît chaque année autour du majestueux site d'Angkor, chef-d'oeuvre de la civilisation khmère, risque de plus en plus de causer du tort aux temples bâtis entre les IXe et XIVe siècles. Mais les autorités cambodgiennes ne semblent pas près de freiner une activité qui leur rapporte plusieurs centaines de millions d'euros par an.
«Même à Disneyland, il n'y a pas de constructions comme ici, laides, agressives», peste Matthieu Ravaux, un Français passionné d'Angkor et propriétaire du restaurant «Chez Sop'hea» devant le colossal temple d'Angkor Vat, bijou du site.
L'an dernier, la ville de Siem Reap, voisine du site classé au Patrimoine mondial, proposait plus de 5.000 chambres d'hôtel, soit le double de l'offre en 2000. Un chiffre qui devrait exploser à 10.000 en 2005, selon le ministère cambodgien du Tourisme. Des avions venus de Bangkok, Saïgon, Singapour, Kuala Lumpur et Hong Kong se posent désormais à l'aéroport international de Siem Reap, qui mène pour 19,7 millions d'euros de travaux d'extension.
Le ministère du Tourisme estime que Siem Reap pourra engendrer 197 millions d'euros en 2006 -où l'on attend un million de visiteurs- et 492 millions en 2010 avec la présence attendue de 2,5 millions de touristes. Au niveau local, l'impact est évidemment fort. Selon une étude en mai du ministère, 80% des habitants de la ville affirment que l'essentiel de leurs revenus viennent du tourisme.
Seng Muy Teang, 22 ans, et sa famille n'ont ainsi pas hésité à quitter la capitale, Phnom Penh, pour ouvrir un petit hôtel il y a un an à Siem Reap. «Mon oncle et ma famille pensaient que Siem Reap était l'endroit où se présenteraient le plus d'occasions», raconte-t-elle.
L'aide internationale n'a pas été étrangère à ce développement avec des subventions pour construire des routes, assainir l'eau et fournir du courant, même si tous ces projets semblent peiner à rattraper la très rapide croissance. Et les ambitions de l'Apsara, un établissement public créé en 1995 pour protéger Angkor et la région de Siem Reap, ne sont pas suivies d'effet.
Pourtant soutenue notamment par la France et l'UNESCO, l'Apsara a vu ses propositions largement ignorées. Une zone réservée à l'agriculture et à de nouveaux axes routiers, par exemple, est aujourd'hui truffée de maisons privées, déplore Seung Kong, directeur adjoint de l'établissement public.
Si de nombreux investisseurs locaux se soucient guère des plans d'occupation des sols, le plus grand problème reste encore l'eau. L'urbanisation anarchique a réduit le nombre des canaux venant d'Angkor, une situation qui risque d'entraîner l'inondation des monuments, selon Seung Kong.
Et le déficit d'eau potable de la ville -accru par la forte demande des hôtels et des piscines- ne s'arrange pas avec l'habitude des habitants de jeter leurs ordures ménagères dans les eaux de la rivière Siem Reap.
Dans une ville qui a accueilli 700.000 touristes l'an dernier, dont 50.000 Français, certains officiels comme le ministre Veng Sereyvuth, autrefois en charge du tourisme, n'a rien à redire à ce boom touristique.
«Le développement, ça ne se déroule jamais de façon parfaitement synchronisée. Que faire d'autre? On ne peut pas rester assis et attendre que ça se passe (...) Il faut aller de l'avant, se développer», affirme-t-il. Et de promettre l'an prochain des parcours de golf et plus d'excursions encore sur le Tonlé Sap, le plus grand lac d'eau douce d'Asie du Sud-Est. AP par Miranda Leitsinger--