Kampot entre poivre et sel Angkor vat et quelques autres monuments assurent la renommée internationale du Cambodge. Un succès médiatique tel que le reste du pays en est occulté. Et pourtant ce royaume ne se résume pas uniquement à ses temples, bien d’autres splendeurs sont à découvrir.
Arrivé à Kampot, le chef lieu d’une province côtière proche du Vietnam, le visiteur tombe sous le charme de cet ancien port suranné. Installée à l’ombre du massif du Bokor qui la domine, Kampot cité nonchalante semble s’être assoupie. L’activité est atone. Des deux marchés animant la ville, un seul est actif. De l’autre demeure une longue bâtisse inerte dont le style art déco évoque les années 20. L’agglomération connue son heure de gloire à l’époque de l’Indochine française. Son port était alors l’un des plus important centre de transit du Cambodge
Poivre et selEntre autres produits, négociants chinois et français acheminaient là, le poivre vert de la région connu alors comme le meilleur du monde. Il était alors de bon ton de déguster dans les grands restaurants parisiens un steak au poivre vert de Kampot. Incident de l’histoire, l’indépendance du royaume (1953) fut fatale à cette ville vouée au commerce. Avec la disparition de l’Indochine en tant qu’état unifié, Phnom Penh devint inaccessible par le Mékong. L’accès à l’embouchure du grand fleuve venait d’être scellé par le Vietnam en guerre. Soudainement promu port principal du Cambodge, Kampot semblait voué à un avenir florissant. Sa rivière peu profonde en décida autrement. Les cargos transocéaniques reliant le petit royaume au reste du monde ne pouvaient y accostés. Norodom Sihanouk fonda alors Kompong Som (Sihanoukville) sur un site en eau profonde. L’activité économique migra vers ce nouvel havre et Kampot s’abîma peu à peu dans une léthargie dont elle ne s’est jamais réveillée.
La découverte de la ville se fait aisément à pied. De larges rues quasi désertes où se développent des herbes folles remémorent une époque révolue. Les anciennes shophouses aux façades décrépites s’entremêlent à quelques villas coloniales. Les murs noircis par les saisons des pluies donnent un air languissant à la cité éteinte. Des navires de pêche remontent toujours la rivière mais plus rien n’évoque le fourmillement d’un port de commerce. D’ailleurs, les poivriers qui firent la renommée de la région ont pratiquement disparu. La guerre civile fut fatale aux producteurs d’épices. Depuis cette activité, pourtant fort lucrative, n’a jamais redémarrée. Les épices qui agrémentent la cuisine locale proviennent essentiellement de la Cochinchine voisine.
A défaut de poivre, le visiteur découvrira les salines. Un paysage tout en contrastes, les montagnes verdoyantes se mirent sur les nappes d’eau saumâtres. A perte de vue des marais salants exploités pieds nus avec un équipement minimaliste. Des râteaux, des pelles et des paniers en bambous constituent l’essentiel de l’outillage. Le travail est âpre mais les visages burinés par le soleil et le sel reflètent le sourire énigmatique des Khmers que l’on retrouve figé sur les bas-reliefs d’Angkor. Une simple route sépare cet univers salin de la plaine rizicole.
Temples et grottesDe loin en loin les rizières de Kampot s’agrémentent de phnoms (montagnes) égayant la campagne. Ici, les phnoms ont une particularité, ils sont en karst. A Kompong Trach, le phnom Sorsia recèle une merveille de la nature peu commune. Le cœur de la montagne karstique s’est entièrement effondré, formant ainsi un impressionnant cirque naturel. L’accès se fait par de multiples boyaux engorgés de stalactites. A la lueur vacillante d’une torche fumante, une femme entre deux âges mène les visiteurs vers un temple édifié au cœur du massif. Quelques chauves souris apeurées s’enfuient dans un bruissement d’ailes. Un véritable décor de film fantastique ! Dépaysement assuré dans un site unique. Bien d’autres phnoms recèlent des cavités plus ou moins accessibles.
Phnom Chnok vaut particulièrement le détour. L’une des grottes abrite un ancien prasat (temple) dédié à Ganesh, le dieu hindouiste à tête d’éléphant. L’édifice en brique ocre date du VI ème siècle, près de 600 ans avant l’édification d’Angkor…
Au phnom Slap Ta Oun, les cavités ne sont pas les plus spectaculaires au monde mais permettent de visiter un phnom d’une manière peu orthodoxe. Le réseau de galeries débouche sur le sommet de la montagne karstique. De loin, vous aurez l'impression que ce phnom tassé sur lui-même a été raboté. De l'intérieur vous comprenez pourquoi. Ce voyage au centre du phnom est une expérience amusante. Les enfants du cru escortent les spéléologues amateurs et apportent un éclairage d’appoint. Ces guides improvisés s’avèrent rapidement indispensables car la voie menant au sommet n’est pas facile a trouvé.
Par endroits il faut se faufilez dans des passages si étroits que l'on imagine pas qu'ils puissent débouchés quelque part. A un moment, une grande salle dont le faîte est percé de multiples trous se dégage. En levant la tête on peut observez l'épée de Damoclès de plusieurs tonnes qui parait en équilibre précaire. Vos accompagnateurs vous rassureront sur le sujet, mais vous empêcheront de saisir les racines qui parsèment salles et boyaux. Genre tirer sur la corde et la chevillette cherra… Un dernier effort et l’on parvient au sommet. De là, une vue imprenable sur la région vous attend.
Massif du BokorExit les mondes souterrains et retour définitif à l’air libre. Non loin de la baie de Kompong Som, l’extrême pointe de la chaîne des Cardamones se termine par un massif surplombant le golfe de Thaïlande. Explorer le haut plateau du Bokor, c’est découvrir un parc naturel doté d’une riche biodiversité. C’est aussi remonter le fil de l’histoire récente du Cambodge a travers les ruines d’une ville coloniale fantôme, les fastes du Sangkum et aussi du passage sanglant des Khmers rouges.
A la sortie de Kampot, au-delà du pont métallique enjambant la rivière, il faut s’orienter au Sud, Sud-Ouest. A quelques kilomètres une bifurcation à droite mène directement au pied du massif. Rapidement la route s’enfonce dans une végétation luxuriante. Encore plus rapidement la route se transforme en une piste chaotique très difficile. Par endroit des traces de bitume, preuve que le chemin fut autrefois une route carrossable. C’était à l’époque de l’Indochine française lorsque le massif du Bokor était synonyme de luxe.
Villégiature coloniale et royale
Le sommet du plateau culmine à 1069 mètres ce qui lui vaut un climat relativement sain par rapport à la moiteur de la plaine côtière en contrebas. Une certaine fraîcheur y règne tout au long de l’année (+-20°) et se double de précipitations abondantes. Ce micro climat ne pouvait que séduire la bonne société coloniale de Phnom Penh. Au début des années 20, le Bokor devint un lieu de villégiature privilégié pendant que la capitale s’engourdissait dans la chaleur et la poussière de la saison sèche. Des aménagements luxueux sont réalisés. Ainsi naît une petite agglomération avec villas, églises et un imposant hôtel casino. Situé à l’extrémité d’un aplomb surplombant le golfe de Thaïlande, le « Casino Bokor Palace » est un splendide exemple d’édifice style art déco. Habitué des lieux, le roi Sihanouk y disposera d’une résidence. Les français lui offrirent également un « pavillon d’observation royal » dans le vain espoir de calmer ses velléités d’indépendance. Peine perdue, le roi mène pacifiquement le pays à l’indépendance en 1953. Débute alors la période faste du Sangkum, le Bokor demeure un lieu de prédilection pour les élites du royaume. Las, le Cambodge ne peut évité de s’enliser dans la guerre du Vietnam si proche, trop proche. La neutralité impossible du royaume est balayée en 1970. Le roi qui laissait les troupes d’Ho Chi Minh stationnés sur son territoire est renversé par le maréchal Lon Nol. Ce dernier soutenu par les Américains fonde la République Khmère. Sihanouk soutient ses opposants, les Khmers rouges. Le pays en guerre civile larvé depuis la fin des années 60 se désagrège de plus en plus. Dès 1972, le Bokor est pratiquement abandonné, les routes devenant peu sures du fait de la guérilla communiste émergente.
Bokor Bunker Palace Hôtel
17 Avril 1975, les Khmers Rouges entrent dans Phnom Penh. Les quelques gardes républicains stationnant au Bokor sont informés que le roi va venir les inspecter. Honorés, ils s’empressent de briquer leurs uniformes et s’alignent pour la parade. Les Khmers Rouges s’empressent de les fusiller. Le Bokor est alors abandonné une première fois. A partir de 1977, l’Angkar, l’organisation suprême et secrète des Khmers rouges multiplie les raids et incursions au Vietnam. En 1979, les Vietnamiens répliquent, ils envahissant le Cambodge. En quelques jours c’est la débâcle. Les Khmers rouges ne peuvent faire face aux puissantes divisions blindées du général Giap, le vainqueur de Dien Bien Phu. Ils se replient dans la forêt. Le massif du Bokor apparaît alors comme une véritable forteresse naturelle. Ironie de l’histoire les mêmes Khmers rouges qui abolirent l’argent se retranchent dans le casino. Trois mois de violents combats seront nécessaires aux Vietnamiens pour les en délogés. Le Bokor est définitivement abandonné. Un premier passage dans ces lieux en 1998 alors la guérilla Khmers Rouges déposaient les armes m’ont laissé une forte impression. Des sacs de sables formant des casemates, des éclats sur tous les murs, des lambeaux d’uniformes dans les recoins. Surtout, il était impossible de faire un pas sans fouler un tas de douille. Des Khmers rouges du secteur viennent discuter. Au bout de dix minutes vient la sempiternelle justification que l’on entend à chaque fois « Nous on n’a rien fait, ce sont les Vietnamiens qui ont out inventé et créer les prisons… » Une rengaine que l’on entend toujours dans leurs fiefs.
Passons c’est l’histoire. Aujourd’hui la route est sure et le massif du Bokor est devenu un parc naturel que l’on visite en 4X4 ou en moto. Le Bokor casino hôtel se dresse toujours face à l’île de Phu Hoc. Les douilles ont disparu. Des graffitis ont fait leur apparition dans les ruines couvertes de moisissures. Une nouvelle époque est née, celle du tourisme vert.
Hoel Meriadec
- INFOS PLUS a écrit:
Cambodge pratique
Y aller : Le Cambodge dispose de deux aéroports internationaux (Phnom Penh et Siem Reap).
Sur place : Kampot est à 160 km de Phnom Penh. Comptez Trois heures de route en taxi. Un taxi plus chauffeur se négocie à partir de 25 $ la journée. A Kampot il est possible de louer de petites motos (3/5 $/jour). L’excursion au Bokor est proposée par les hôtels de la ville (10 $).
Plages. Les mangroves dominent le littoral. Néanmoins à Kep sur Mer (Krong Kep) vous pourrez accédez à l’île aux lapins toute proche. Là, le sable est fin et l’eau translucide.
Formalités : Passeport, un visa d’un mois est délivré à la frontière (20 $).
Monnaie : 1 € = 5000 riels (environ). Le dollar est très apprécié, l’euro méconnu.
Budget : Comptez 40 €/jour tout compris.
Hébergement : Kampot, Blissfull guesthouse. Une ancienne et vaste demeure en teck très agréable. A proximité du rond point « 2000 ». Tel 012 513 024.
Kep, Veranda guest house & resort. Un ensemble de bungalows disséminés dans immense jardin avec vue imprenable sur la mer. Au loin le Bokor… Tel : 012 333 322. E-mail : verandaresort@mobitel.com.kh
Ambassade du Cambodge : 4, rue Adolphe-Yvon 75116 Paris (tel 01 45 03 47 20)
Octobre 2005 - N° 74
© Photos et texte Hoel Meriadec.
Tous droits de reproduction réservés
© Absolute Travel Mag